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Journal de Louve #42 Nostalgia
J’ai la nostalgie aiguë, comme une chanson entêtante que je n’ai pas choisie, qui imprègne la chair. Elle me bouscule d’un choc démesurément doux puis m’engourdit en continu. Plus tard, je retrouve au détour d’une pensée, l’impact sur mon humeur, sans savoir d’où ça vient. J’ai la nostalgie parfois par avance, quand je sais que les chatons vont grandir. Celle aussi de prendre ta main et d’y voir autre chose que lorsqu’elle n’était qu’une main. Effrayée par l’idée de ce qu’elle deviendra. C’est fascinant, ça se fouille, ce béant inaccessible. Je me perds à chercher à admirer cette chimère qu’il me plaît de renommer refuge. Elle n’est faite que de…
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Journal de Louve #41 Je suis l’affront
Il fut un temps où je faisais dans ma tête ritournelle de ces mots « alors hurle en puissance ». Seulement, je les disais seule. J’ai fais des années, trébucher dans les briques, à œuvrer sur ma peau glaise. A me façonner mieux, même si cela devait parfois me teinter de triste et me mener les yeux grands ouverts devant les champs de batailles de mon époque. J’ai vu. Peu mais un peu. J’en suis furie, c’est vrai, et on dirait que furie donne le droit parce que je suis une femme de dire hystérique, parce que je semble jeune de dire idéaliste, parce que je suis sincère de dire provocatrice, parce…
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Journal de Louve #40 Triste et sublime
Je cherche Ton dernier souffle dans l’appartement. Il doit bien être quelque part. J’ouvre la fenêtre La brise légère s’est installée Les vents contraires ont, comme toi, cessé de se faire entendre. Je dépose ma mue Et tu es dedans. Le silence du plafond blanc est rempli des rires que tu m’inspires encore. Mon souffle à moi coupé, Continue Et te trouve partout où je me souviens. Hier c’était la fête C’était beau, c’était toi. Aujourd’hui le chemin c’est gravir c’est le triste et sublime qui me montre l’amour immense que j’ai, qui grandit Et qui est né de toi. Ta vie résonne comme l’air que je chantais au plus…
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Journal de Louve #39 Si « tu » n’est plus matière
Si tu n’est plus matière, il devient un trésor et devient infini. Il court à se nicher au creux de ma poitrine, au profond de ma vie. Il sait se faufiler dans mes poils hérissés. Tu est bien plus duveteux que les mots imprimés sur papier blanc ou crème, a des cheveux qui ondoient crépuscule quand des lettres se figent, le pelage d’un caneton, je sais que ça vaut plus. J’aime mettre mes doigts dedans, caresser son museau du bout de mon nez. Tu m’a donné l’élan. A son contact je redeviens dense ou je redeviens danse. Tu m’a longtemps aidée à vivre-écrire, sans que l’un, de l’autre, ne soit…
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Journal de Louve #38 La proie et l’autre imaginaire
Je joue à cache-cache dans les herbes hautes. En ce moment, j’ai tendance musaraigne. Nécessairement, si je m’éloigne des rives un peu trop longtemps, l’eau et ses souillures que j’avale malgré moi agglutinent mon pelage en petits amas gris. Pourtant, j’entends le fond de la nature fredonner une chanson que j’ai cru inventer. N’ayant aucun souvenir de qui me l’a apprise, j’ai pensé, prétentieuse, qu’elle provenait de moi. Je crois que je n’ai rien imaginé moi-même, j’ai seulement récolté, ramassé et gardé ce qui me rassurait. Mes poches sont pleines. A présent j’en suis sûre, l’air vient d’un arbre creux, d’un bébé écureuil, d’un bruissement de feuillages ou d’un croassement.…
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Journal de Louve #37 Faire semblant c’est mentir
Amoché, mon corps se tortille pour entrer quelque part, pas trop inconfortable, où l’on voudra de lui. Dans les moments où la cascade vomitive s’entretient, je me vois comme une greffe sur le monde, une greffe qui ne prend pas. Je cherche l’harmonie, jusqu’où c’est encore moi qui m’abime dans ce décors sinistre ? Y-t-il un moment ou même plusieurs, soyons audacieux, où faire ma part me fera voir un merveilleux manège et non le cimetière des êtres éclopés. Nous sommes des personnes blessées. Je dissimule. J’entends de nouveau une source couler. Quand je parle ainsi autant par les images, ça fait comme une musique. Je me revois avec une…
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Journal de Louve #36 Avant j’étais un corbeau
Avant, j’étais un corbeau. Je construisais ma chambre avec des brindilles. Je chantais. On me louait souvent mon plumage sauvage aux reflets bleutés.Je rêvais de m’envoler dans des villes que je m’imaginais. J’aurais chanté pour des fêtes, des mariages, des anniversaires pour toutes les autres espèces d’oiseaux. Le grand corbeau perché sur la cime de notre arbre était comme un prophète. Il incitait les autres à venir se confier, on pouvait tout lui dire, selon ses sages paroles. Je m’enquis de lui révéler mon souhait, un soir où la lumière du soleil inondait notre parc d’une aura poétique et m’avait donné l’élan de partager mon rêve. Tu veux dire que…
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Corpus #15 Ce qu’on laisse derrière soi
Cendrillon laisse une chaussure en partant, nous, il nous arrive simplement de claquer la porte et de rester avec nos doutes et nos si j’avais su. Quand c’était l’heure, c’est moi qui suis partie, à chaque fois. C’est moi qui ai pris ma fidèle voiture, ai traversé les hameaux dans la nuit pour me rendre aux refuges. J’ai souvent laissé bien des choses derrière moi. Une part de mon identité Magnus de Sylvie Germain J’en ai laissé dans ma chambre, des jouets, des poupées. Et maintenant la chambre n’existe plus. Elle a été remplacée, un bureau, ça sent le neuf. Pour la première fois j’ai rapporté tout ce que je…
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Journal de Louve #35 Sorcière du printemps
Le printemps m’ensorcèle. Mon premier papillon. La magie m’appelle en me parcourant, les poils se hérissent sur mes bras. Je sors. Je prends comme des signes les fissures sur les murs, mon amie par hasard et le toit recouvert de tuiles alignées. L’herbe est haute, je lève les pieds, mes bottes parcourent. A chaque pas je puise les pensées qui me font respirer. J’ai la fantaisie et le jeu avec moi. Comme une loutre. Mes chats s’amusent et puis s’endorment. Je dépose mon visage sur leur flanc fourni, l’odeur de la lessive. L’une, un peu plus tôt, a du s’installer dans la buanderie. J’évite les ennuis, je sais faire, sans…
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Journal de Louve #34 Pensées ennemies
J’ai le doute au corps. Les pensées ennemies ont envahi mon monde, l’érosion continue. Nous n’avons pas le temps. L’hésitation grésille et je ne parviens pas à te la faire entendre. Je me lève, le matin, c’est sans savoir marcher. Je titube, salle de bain, j’essaie automatique, de mâcher mes souvenirs, ils vont me rappeler comment on fait la vie quand le jour s’est levé. J’ai peur du pas qui deviendra l’erreur, celui qui bousculera, provoquera l’avalanche, permettra dans ta bouche l’apparition des mots je ne peux pas continuer. Tu m’as dévorée, presque entière. A chaque bouchée je gagne et je perds l’équilibre. Et je fais l’inventaire des morceaux qui…