Roman de l'avent

Chapitre 17 – Le repaire de glace

Chapitre 17 – Revenant

Le café est plongé dans une lumière tamisée, la salle silencieuse donne une drôle d’impression intimiste. On entend tous les bruits. Je balaie sous une table, les frottements réguliers du balai forme un rythme discret, accompagné par le tintement des verres que Niels range derrière le comptoir. Le son des Ramones de la playlist de Niels devient un instrument parmi d’autres.

Je chantonne d’une petite voix, consciente que ça décale un peu avec la version d’origine. J’imagine que c’est ce que ce dit Niels lorsque nos regards se croisent et qu’il m’adresse un air amusé.

Je range le balais, prends la pelle et la balayette et termine la mission.

Je pose un œil attendri sur Givre endormi sur un canapé.

Niels a toujours le torchon à la main.

Je vais derrière le comptoir pour l’aider à essuyer les verres. Vrombit l’intro de la reprise rock What a wonderfull word. Je commence à chanter. Niels remarque :

— Tu les connais toutes par cœur.

Je mets un verre devant ma bouche comme pour faire un micro. Niels fait de même et reprend avec moi And I think to myself, what a wonderfull world.

Nous trinquons avec nos verres vides et terminons de ranger.

— Ce n’est pas ma chanson préférée des Ramones, glisse-t-il.

— Laquelle tu préfères, alors ?

Il sourit, visiblement amusé par sa réponse, et me dit d’une voix basse.

— C’est I wanna be your boy

Le claquement de la porte d’entrée annonce un visiteur.

Je m’apprête à annoncer que le café est fermé mais Niels et moi levons les yeux sur l’homme qui vient d’entrer. Nous restons un moment abasourdis.

Victor avance vers nous, d’une démarche tranquille, les mains dans les poches.

— Bonsoir Livia, je suis passée te voir, annonce-t-il sans se défaire de son air goguenard.

Comme si le temps venait de reprendre son cours à toute allure, la chaleur m’envahit et je me sens transpirer.

— Je n’ai pas envie de te voir Victor, je pense que c’est assez clair.

— Et moi, je voudrais te parler. Tu sais bien que je ne t’embêterais pas si ça n’en valait pas la peine. On se connaît depuis trop longtemps pour se mentir maintenant, non ?

Je reste interdite devant son culot. J’ai envie de l’insulter mais reprends mon sang-froid.

— Je vais te suivre, ce soir, Victor, parce que ça a l’air important. Mais ensuite, quoi qu’il arrive, tu me ficheras la paix. On est bien d’accord ?

Je croise le regard de Niels, celui-ci pince les lèvres.

— Parfait ! s’exclame Victor enjoué, je t’attends devant.

Les talons de ses chaussures résonnent sur le sol, il claque la porte derrière lui.

Je me retourne tentant de contenir véhémence furieuse qui gagne tous mes membres. Je dois rester calme.

— Livia, dit Niels en posant une main sur mon épaule. Est-ce que ça va aller ?

Je lâche un long soupire et lui réponds :

— Ca ne pas pas. Parce que ce type est un enfoiré de première et qu’il tentera de me faire faire ce qui lui chante. Mais je le connais et je n’ai pas l’intention de rentrer dans son jeu. Alors, oui, ça va aller.

— Ok, murmure Niels en plongeant son regard dans le mien.

Je lui souris, apaisée par la considération que je lis dans ses yeux sombres.

— A mercredi, lui dis-je, je ne travaille pas mardi.

— Bon week-end, Livia.

J’appelle Givre qui baille sans retenue avant de me suivre hors du café.

Face à Victor qui fait tourner son vin au fond de son verre à pied, je parcours les tableaux accrochés dans la salle en croisant les bras. Un quartet joue sur une scène de spectacle, Victor a choisi une table dans un coin peu éclairé.

— Tu te souviens de nos soirées ? On savait toujours quoi dire, dit-il en esquissant un sourire.

— Ne joue pas à ça, Victor., je lui réponds froidement. Je t’ai suivie pour que tu me laisses tranquille alors qu’est ce que tu veux ?

Victor approche sa main de la mienne, que je retire immédiatement.

Il ne s’offusque pas et adoucit davantage le ton :

— Je voulais seulement passer un moment avec toi.

Je pose mon verre, fermement sur la table et me lève.

— Qu’est ce que tu fais ? demande Victor.

— Je m’en vais. Je t’ai suivie, j’ai déposé Givre qui est tout seul chez moi pour venir parce que tu avais quelque chose d’important à me dire. Tu m’as menti, donc je m’en vais.

Il fait un geste dans ma direction.

— Non, non, Livia, je t’en prie, rassieds-toi.

— Tu as trois secondes pour me dire pourquoi tu m’as fait venir ici, dis-je en posant ma main sur le col de mon manteau.

— Assieds-toi. Je te promets Livia que c’était important.

Je reste de marbre et lui fait signe que j’attends, déroulant le compte à rebours dans ma tête.

— Je ne t’ai pas menti, dit-il très sérieusement. Je voulais passer du temps avec toi. Tu me manques Livia, j’avais vraiment besoin de te revoir.

Sa déclaration me plante en pleine poitrine. Je dois faire un effort pour respirer suffisamment.

Interloquée, je m’attable à nouveau et agrippe les accoudoirs du fauteuil.

— Tu peux m’expliquer ? dis-je sévèrement en faisant claquer ma langue dans ma bouche.

— La maison n’est plus la même sans toi, Ambroisie non plus. Je suis venu te demander de revenir. Je suis toujours amoureux de toi Livia.

Victor ouvre une main au milieu de la table, comme pour m’inviter à y glisser la mienne.

— Tu plaisantes, n’est-ce pas ? En fait tu as quelque chose à me demander.

Il tente une nouvelle fois d’approcher sa main de celle qui tient mon verre. Cette fois je ne bouge pas.

— Je n’ai rien d’autre à te demander que de t’avoir auprès de moi, j’ai fait des erreurs, mais tu es la seule personne avec qui je puisse me sentir bien.

— Parce que tu peux me considérer avec tout l’irrespect que tu sais te permettre ?

Il passe sa main dans ses cheveux, décontenancé.

— Je te le dis, j’ai fait des erreurs Livia. Mais je pense sincèrement que tu sais voir la beauté en les personnes qui t’entoures et tu peux m’aider. Je suis une meilleure personne quand tu es près de moi, Livia.

Je crois rêver. Les instruments à cordes bourdonnent dans mes oreilles et l’odeur du vin blanc me donne la nausée. Je voudrais juste sortir de ce bar de bourgeois tape à l’œil et rentrer me réfugier sous ma couette.

Je pense à la couleur bleue et je m’imagine porter la robe de Jenny de princesse des étoiles. Je prends une grande inspiration et pose mes deux pieds bien à plat sous la table.

— Je ne sais pas à quoi tu joues Victor, mais tu vas arrêter cette comédie tout de suite. Tu as été sournois, égocentrique et manipulateur pendant tout le temps qu’on a été ensemble. Tu m’as menti, trahie et trompée.

Je glisse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

— Je me fiche pas mal aussi d’avec qui tu es meilleur ou pire. Si tu estimes avoir fait des erreurs, la première chose à faire c’était de dire pardon.

Je le vois grimacer, je sais que je marque un point. Je poursuis d’une voix posée.

— Donc, si c’est ce que tu souhaites, tu vas apprendre tout seul comme un grand à devenir une personne meilleure parce que ce n’est pas à moi de t’apprendre à te conduire correctement, ni à aucune autre femme.

Je me lève et empoigne ma sacoche, je sens les sanglots se coincer dans ma gorge. Ma poitrine se gonfle.

— Maintenant, dis-je, je m’en vais et toi tu vas dorénavant me laisser tranquille.

Victor lève des yeux noirs dans ma direction.

— C’est à cause de lui, n’est-ce pas ?

— De quoi tu parles ? je lui réponds.

— Quand je vous ai vus ensemble, je m’en suis immédiatement douté, dit-il en saisissant son verre. C’était tellement évident.

Interloquée, je retiens mon geste, avant de comprendre qu’il s’agit d’une nouvelle tentative de sa part.

— Ca n’a rien à voir avec lui, je coupe sèchement. Arrête d’accuser les autres lorsque tu n’obtiens pas ce que tu veux. Je ne te dis pas non ce soir parce que j’ai un nouveau petit ami, mais parce que je ne veux plus te voir. Ce n’est la faute de personne d’autre si je ne veux pas ressortir avec toi. C’est toi qui t’es conduit comme un con.

Je quitte le bar sans même lui adresser un regard.

Je cours presque dans la rue jusqu’à retrouver ma voiture. Je sens la vulnérabilité m’érafler à même la peau. J’aurais aimé une présence à mes côtés et je pense à Léo. Je soupire. Il ne valait mieux pas qu’il soit là, cela n’aurait sûrement fait qu’empirer les choses. Je sais que certaines étapes douloureuses doivent se vivre seule, je n’en ai simplement pas envie.

J’allume le contact, les phares et la radio, me sentant incapable de faire le trajet en silence. Je roule en regardant droit devant moi, m’efforçant de me concentrer. Je repasse la scène surréaliste qui vient de se dérouler, me rappelant plusieurs fois qu’il ne s’agit pas d’un cauchemar mais de la réalité.

Je rentre et cherche mes clés à l’aveugle, frénétiquement. J’ouvre la porte, Givre me fait la fête. Je m’agenouille et lui caresse la tête, permettant enfin aux sanglots de franchir la barrière.

J’enserre mes bras autour de mon ventre et je répète, non non non non. J’ai envie d’oublier tout ce qui vient de se passer. J’ai envie de disparaître, d’être absorbée par la terre, de faire partie des arbres. D’être si grande et libre que personne ne pourra me blesser.

Je me relève, retire mon jean et le fourre en boule dans la machine à laver. Je me glisse dans mon lit, me recouvre des couvertures et roule sur le côté.

J’attends comme ça un moment, jusqu’à ce que Givre vienne gratter sur l’oreiller en couinant. Je soulève le drap pour lui faire un passage.

Il me rejoint sous la couette et vient se nicher au creux de mon ventre, là où la rage me causait les dégâts. J’avale ma salive, j’attends en écoutant le vide autour de moi, finalement soulagée d’être seule avec Givre.

Je repasse ma journée au café qui sans ça, contribuait assurément à être un monde merveilleux.
What a wonderful world. Je laisse couler des larmes qui cette fois-ci m’apaisent.

Le sommeil commence à me gagner, je repense à l’extrait du calendrier de l’avent que j’ai distribué aux clients aujourd’hui au café :

Le passé est le passé. Lui aussi, on pourrait le laisser comme il est.

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