Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #5

Chapitre 5 – Les fissures sous la surface

— Tu es rayonnante, s’écrie Léo quand j’arrive au café.

Il termine de nouer son tablier et me tend une chaleureuse accolade. Je sens son parfum flotter autour de moi.

— J’ai quelque chose à vous annonce ! je m’exclame.

— C’est le jour des bonnes nouvelles, alors, me dit Franck en m’embrassant sur les joues.

— T’as fait quelques choses à tes cheveux, constate Léo en faisant glisser une de mes boucles entre ses doigts.

Je ris.

— Ca s’appelle des anglaises.

Je remarque Niels au comptoir qui m’adresse un signe de tête.

— Alors cette nouvelle ? demande Léo.

— Vous ne devinerez jamais ce que j’ai trouvé, hier soir.

— L’inspiration ? plaisante Léo.

— Dans la rue … je précise.

Hélène passe la porte.

— Bonjour tout le monde !

— Hélène, clame Franck, sais-tu ce que Livia a trouvé hier soir dans la rue ?

— Un chien ? devine Hélène.

— Gagné ! dis-je. Je l’ai appelé Givre.

Je montre la photo que j’ai prise de Givre ce matin avant de partir, enveloppé sous l’avalanche de couvertures de mon lit.

— Trop mignon ! s’extasie Hélène. Il n’appartient à personne ?

— Le pauvre était attaché à une poubelle !

Elle fait la moue.

— Il y a vraiment des gens …

— Et toi, je demande à Franck, tu avais aussi une bonne nouvelle à nous annoncer ?

— Pas des moindres, et elle vous concerne tous !

— On va être augmentés ? demande Léo.

Je lui donne un coup de coude et sourit tout en lui faisant signe de se taire. Il contre-attaque en tentant de me rendre le coup de coude, je m’écarte.

— Quand vous aurez fini tous les deux, sermonne Franck prenant un faux ton d’exaspération qui laisse entendre précisément le contraire ce qu’il dit. Nous sommes finalistes pour devenir le partenaire officiel de Blues en hiver.

Je reste muette.

— C’est génial ! s’écrie Hélène.

Niels approuve silencieusement et porte sa tasse à ses lèvres. Léo m’interroge du regard.

— C’est un festival qui a lieu chaque année dans notre région, je lui explique. Le but est d’éviter le blues de l’hiver en proposant trois jours entiers consacrés à la musique. C’est au mois de février car c’est souvent un mois où il y a peu d’évènements culturels. Si tu aimes la musique, quoi qu’il en soit, tu devrais y aller !

— Quel rapport avec nous ? demande-t-il.

— Le festival a une très bonne réputation en ce qui concerne la qualité de ses groupes et de ses partenaires. Chaque année, il propose à son public un service de restauration rapide trié sur le volet. Si nous devenons le restaurant partenaire du festival, cela nous fera assurément monter en notoriété.

Il marque une pause.

— Je ne savais pas que tu avais postulé, dit Hélène, enjouée.

— Le festival a lieu en février, reprend Franck, mais le jury choisira le partenaire officiel le 23 décembre. Nous devons organiser un évènement et proposer la carte que nous envisageons de servir à Blues en hiver.

Niels passe la main dans ses cheveux, les laissant plus désordonnés encore.

— Tu tu sens prêt ? lui demande Franck en se tournant vers lui.

— Ca va le faire, déclare-t-il, placide.

— Cache ta joie, surtout ! provoque Léo. Ce n’est pas comme si c’était l’évènement de l’année.

Niels noue son tablier dans son dos, se lève lentement de son tabouret.

— C’est le guitariste de plage qui ne connait pas l’évènement de l’année qui se permet de critiquer ?

Léo serre la mâchoire et balance.

— Tu crois que parce que t’es surdoué, tu peux me parler comme ça ? Ton talent en cuisine ne te donne pas le droit d’être condescendant !

— Alors arrête de me chercher, répond Niels froidement.

Il tourne les talons et se dirige vers la cuisine.

Je crois que Léo marmonne quel con, mais je suis la seule à pouvoir entendre. Je pose doucement ma main sur son poing serré.

Hélène lève les yeux au ciel. Elle regarde sa montre et attrape la pile des cartes du café.

— Les garçons, réprimande-t-elle avant de s’éloigner.

— Léo, va aider Hélène à préparer la salle, ordonne Frank le visage fermé.

Ses traits se durcissent et une ride se creuse entre ses sourcils.

— On en reparlera plus tard.

Léo déglutit et presse le pas derrière Hélène.

Franck se retourne vers moi. Il pose une main sur le comptoir, je vois ses tempes se relâcher.

— Livia, je compte sur toi pour le 23 décembre. La forme compte autant que le fond. Je voudrais que tu me trouves une idée pour donner la bonne image au jury. Nous avons une réunion avec des organisateurs du festival cet après-midi. Ils vont nous détailler les critères pour devenir partenaire officiel qui nous permettront de gagner contre l’autre établissement finaliste. J’aimerais que Niels et toi, vous m’accompagniez.

— Bien sûr.

J’attrape une tasse propre et me poste juste devant Léo.

— Ca va ?

Léo sert des cafés en chaîne en appuyant sur la machine et pose les tasses pleines deux par deux sur un grand plateau.

— Ouais … lâche-t-il.

Il suit des yeux le café s’écouler lentement. Je lui fait comprendre que cela ne me suffit pas.

— Il a le don parfois de me faire sortir de mes gonds.

— Tu l’as cherché quand même.

Léo laisse tomber les bras.

— Ouais … répète-il.

Il appuie une nouvelle fois sur le bouton de la machine.

— N’empêche. C’est un ours. Ce n’est quand même pas difficile de se rendre un peu agréable, si ?

Je hausse les épaules.

— Toi par exemple, c’est complètement différent. Tu as ce truc qui fait que tout est simple, tu sais trouver les mots pour rendre les choses faciles et détendre l’atmosphère.

— Oui, mais les gens ne sont pas tous les mêmes, je rétorque en souriant. Je pense que vous avez du mal à vous comprendre.

Léo s’approche. Je pense d’abord que c’est pour attraper quelque chose derrière moi, mais il passe furtivement la main dans mes cheveux.

— En tout cas, tout est plus agréable avec toi, Livia.

Il pose les deux dernières tasses pleines sur le plateau, le prend par le dessous et part servir les cafés.

Nous passons les portes automatiques. Franck regarde sa montre.

— Je peux fumer ? demande Niels en restant dans le sas.

— Le rendez-vous commence dans cinq minutes.

Niels s’avance et pénètre avec nous dans le hall.

— Je ne saurais même pas dire combien il y a d’étages, dis-je en levant la tête.

Franck nous annonce.

— Nous sommes l’équipe du café Le Repaire, nous avons rendez-vous.

L’hôte d’accueil nous indique une salle d’attente derrière des portes vitrées. Deux sièges se font face. Franck s’assoit sur le plus près de la porte, je me tourne vers Niels.

— Après toi, me dit-il.

Je retire ma sacoche de mon épaule et la pose sur mes genoux.

— Peut-être que j’aurais du mettre un costard, glisse Niels.

Je ne sais si c’est pour plaisanter. Je regarde mes mocassins et les chaussettes mauves qui dépassent de mon jean.

Un homme dégarni, en costard en effet, ouvre la porte et nous souhaite la bienvenue. Il nous conduit à une salle de réunion à peine meublée.

Nous nous installons autour d’une table circulaire. Un tableau blanc est posé dans un coin sur un chevalet. A chaque place nous attend un fascicule et une bouteille d’eau en verre.

Niels et moi nous regardons sans mot dire.

— Installez-vous, dit l’homme en costard d’un ton exagérément cordial. Les représentants de l’autre entreprise m’ont prévenu, ils auront un léger retard.

Un homme plus petit entre à son tour dans la pièce et dépose sa mallette à côté d’une chaise.

— Je vous présente mon associé, annonce l’homme en costard.

Nous nous serrons la main à tour de rôle. Je longe la table et choisis une place de laquelle je peux voir à la fois la fenêtre et la porte. Niels s’installe à côté de moi.

Franck toujours debout échange des formules de courtoisie avec les deux messieurs.

— Ce sont des membres de l’organisation du festival ? Je souffle à Niels.

Il les toise un moment.

— A leur tenue, je dirais plutôt que c’est eux qui ont le fric.

— Ah, les voilà ! s’exclame l’homme en costard comme si c’était la meilleure chose qui puisse arriver. Il sort un instant de la pièce.

Franck se penche vers nous et indique à voix basse :

— C’est le président de la commission de financement.

— Et l’autre ? demande Niels.

— Un des membres du jury.

— Personne qui organise l’évènement ? je demande.

— Non, c’est surtout l’image du festival dont il s’agit.

Par les portes vitrées, le président revient accompagné d’un homme et d’une femme. Je repère des boucles noires ondulant négligemment, une silhouette vêtue de gris. Mon cœur tambourine. Mon estomac se retourne. Je vois trouble et regarde un instant mes mains crispées, avant de relever les yeux vers la salle.

Le responsable du café concurrent passe la porte le premier. C’est Victor.

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