Journal de Louve #60 – Enjeux de notre temps
J’ai fait des tours. J’me demande.
Quelqu’un quelque part pourrait il t’apaiser ?
J’ai garé la voiture, apporté des croissants.
Tu manges comme un moineau mais tu grognes, prédateur. Alors je t’installe contre moi, tu m’as beaucoup regardée. Je t’ai serré. On s’est ordonnés ou bien demandés me quitte pas et non, toi me quitte pas. On se l’est dit désormais, on est une meute.
Mais quand je te vois, que tu bouges pas. Sous ton front j’imagine à peine une once de ce qui crépite. Et je lis dans ton regard inquiet les horreurs que tu récites. Tu te sens coupable, tu déformes les infos en scénarios du pire. Tu dis que c’est l’habitude. Moi je pense, c’est le vide.
Je pense que le courage n’est pas loin, plus près que tu le crois.
Et comme ça nous écrase, la rancune, les frayeurs, la télé allumée. On traverse des marasmes inaudibles, puisque tout le monde est dedans et puis ça soulage de déverser tout ce qu’on a de plus moche. Et plus on est nombreux et plus on se le permet.
On se trompe.
J’ai essayé d’être cruelle, agressive, narcissique, offensive. Je voulais mettre en moi de la complexité, trouver un envers du décors qui ressemblerait aux côtés sombres que tu m’as contés de toi. Pour te mimer, pour fusionner avec ta chaire. Je voulais jeter la colère au visage, mes saletés avec. Puisque tout le monde le fait. Je pensais que ça me rendrait la beauté froide que tu me décris parfois, qu’on se raconterait qu’on serait seuls hantés par nos parts d’ombres au milieu du monde, entre les passants plus gentils que nous. Mais ce n’est pas ça. Puisque tout le monde le fait.
Tu n’as pas d’autre ombre que la ritournelle qui te l’a façonnée et je suis assez complexe d’être une humaine, de voir au matin des cheveux blancs s’immiscer dans mes pensées. Je suis assez. Je cesse de mettre en doute tout ce qui va traverser ma bouche, pour fusionner avec la tienne.
J’ai enfilé un jean mais tes mains m’habillaient bien aussi. On a des points communs comme l’hiver et le vide qui est souvent un autre mot pour dire mélancolie (même si cela revêt parfois une allure monstrueuse quand on n’y prend pas garde).
Le courage mon amour, on le forge en prenant le risque de s’aimer plus fort qu’on ne l’a jamais fait. On a remonté nos manches, moi jusqu’à mes tatouages, toi celles de la veste que je viens de t’acheter. Je suis quelqu’un quelque part qui t’apaise. Et même si les discours rances qui passent à la télé sont prêts à jouer au jeu dangereux de salir ce qui nous lient vivants, à épuiser ce que l’on a à partager ensemble pour nous laisser coquilles inertes et à nous entretuer, à mieux penser à soi gavé écœurant de plein de ressentiment, nous allons continuer.
Nous disposons dans nos maisons, de nos artefacts pour nous protéger, lorsque nous sortons, de devenir les tornades ternes qui nous sont tentation, lâchetés plus faciles. Nous avons nos totems et nos chants de pleine lune, nos embrassades et nos intimes qui mêlent au goût de nos muqueuses celui de la valeur de vie. Et si par la parole des faibles, l’écho fait advenir un matin un peu plus brun que d’autres, nous nous soulèverons pour pacifier les meutes, nous soutiendrons l’impertinence joyeuse puisqu’elle est salvatrice. Nous croirons encore à notre raison d’être, ce que je souhaite pour nous tous, c’est d’agir avec sublime et de transformer ce qu’il y a sur nos étagères. Avec amour pour guide, relever les enjeux de notre temps.
Photographie de Darya Sannikova