Journal de Louve #34 Pensées ennemies
J’ai le doute au corps.
Les pensées ennemies ont envahi mon monde, l’érosion continue.
Nous n’avons pas le temps. L’hésitation grésille et je ne parviens pas à te la faire entendre.
Je me lève, le matin, c’est sans savoir marcher. Je titube, salle de bain, j’essaie automatique, de mâcher mes souvenirs, ils vont me rappeler comment on fait la vie quand le jour s’est levé.
J’ai peur du pas qui deviendra l’erreur, celui qui bousculera, provoquera l’avalanche, permettra dans ta bouche l’apparition des mots je ne peux pas continuer.
Tu m’as dévorée, presque entière. A chaque bouchée je gagne et je perds l’équilibre.
Et je fais l’inventaire des morceaux qui restent, éparpillés sur le tapis, sans oser les toucher.
Je vais aller dormir, peut-être une semaine, peut-être des années.
C’est ça que je voulais te dire. Je n’ai jamais été aussi heureuse, je n’ai jamais été autant une autre, je ne me suis jamais sentie bien ainsi, comme une rivière.
A la place, je te dis est-ce que tout est normal ? Est-ce notre monde, ce chaos insolent ? Et malheureusement oui. C’est notre monde, c’est ton combat. C’est ce qui nous fait vomir après, quand on a absorbé les paroles vaniteuses de ceux qui nous violentent le temps d’une soirée.
Mais je suis avec toi. C’est aussi ma bataille et je l’appelle courage.
J’ai choisi l’art, mon cœur. C’est ma réponse à tout. J’ai choisi de créer un refuge de beauté et des perles à offrir. J’ai choisi t’embrasser comme un courant à toute allure, à toute puissance, faire céder les barrages. J’ai choisi vivre en métaphores, t’aimer sous tous les angles en kaléidoscope.
Tu sais, après ma sieste, j’ai longuement regardé les morceaux. Quelques uns sont intacts. Les autres sont perdus.
J’ai les côtes qui s’écrasent sous ma ceinture. Les paysages saillants que je découvrent me heurtent, je m’enfouis, je l’ai dit. Blessée, je ne peux plus recouvrir mes vêtements. Vulnérable, j’obéis aux influences des vents. Je ne peux que faire confiance, j’ai peur de me tromper.
C’est décidé. Je vais emporter avec moi les morceaux qui me couperont les doigts. Je m’enfermai dans mon atelier quelques jours, quelques mois. Je panserai mes doutes, j’attendrai, que la peau se referme, redevienne une enveloppe que je pourrai montrer sans craindre d’être froissée.
En attendant s’il te plaît, prends-soin de mes organes flétris, berce tout ce temps mon corps fragile dans sa boîte à musique. Et je ferai de même à chaque fragilité qui se nichera en toi.
Pour l’instant, j’ai trop d’espace pour croire encore en la guerrière. Je visite prudence le sauvage tout autour.
Prends-moi dans tes bras. Il est temps de repos.