Journal de Louve #27 Ecrasée sous ma chaussure
J’ai choisi un nom qui fait naître de moi à la fois le sauvage et la création.
J’ai gagné un séjour dans un pays vampire ou je m’endette pour travailler encore.
Je suis en dette de sommeil.
Je suis en dette d’équilibre.
Je suis en dette financière.
Je suis en dette d’espoir.
Je suis passionnée et me suis jetée dedans. J’ai découvert les rivières de sang et suis sortie de moi-même, pour regarder les foules, les poings levés. J’ai engendré des hurlements et des feux de forêt pour trouver, de la cendre, ce qui pourra pousser. Parfois j’entends des piaillements d’oiseaux et des balbutiements dans les fourrés. L’enthousiasme jaillit de ce que je peux découvrir.
Mais je n’ai rien dans les mains, et je ne veux pas mes ongles pour creuser la terre. Je cherche autour de moi, y a-t-il autre chose ? Je cherche des outils, une présence. Le monde en est-il à ce point détruit que je dois œuvrer seule à la peau de mes doigts, pour retourner le sol, m’encrasser de poussière ? Pour quoi ?
Le terreau d’injustice et de défiance ne sera pas fertile.
Toi, tu vois la bataille partout. Elle fait partie de ton histoire. Les rapports de force ont jalonné ta vie.
J’ai l’envie d’autre chose pour mon expérience d’humaine. C’est flou, c’est envahi de larmes et puis je butte dans des cailloux à ne plus voir mes pieds. Mais j’ai l’évidence de remercier, chaque fois que je marche embuée ainsi, mon corps de me porter.
Je marche et c’est fluide. L’air est frais, le sol, jamais lisse, sous mes bottes qui me protègent du monde. Je m’accroche à mon nom et à un chien en peluche au pelage râpé, qui depuis le temps qu’il m’accompagne doit savoir qui je suis.
Mon identité s’est forgée dans les torrents et les grottes de passage. Je sais faire du feu mais j’en ai pris peur, car je ne saisis l’ampleur de ce que je déclenche. Tard, tous les soirs après l’arrivée de la lune, je tousse pour évacuer l’âcreté et la médiocrité dans laquelle je respire. Je sais parcourir des chemins sans savoir où ils mènent, mais non sans le plaisir de vivre l’aventure. Je m’abreuve aux cascades, j’ai besoin de repos et de voir la puissance des éléments teinter mes cheveux longs.
Je suis entrée dans un pays de vampires, où les sangsues s’en prennent à ma l’intérieur de ma chair. Je ne sais pas répondre.
J’ai des rougeurs partout, mon énergie s’éclipse.
Je doute doute doute.
Je réactive en même temps les spectres, les angoisses, les manques et ce qui m’écrase les tripes. Cela ne suffit pas à donner conséquence extérieure. Je ravale et j’enfouis, je fissure mes organes qui craquèlent au crépuscule, je décline, à m’en inanimer. Je m’enfonce dans le sable et quand je sors la tête, m’écrase sous ma chaussure.
Je m’inflige et ma colère contre moi m’assourdit.
Je ne trouve pas mes repères.
Je ne sais pas transformer.
Quelque chose résiste. Je me donne tout ce que je peux de doux ou de familier, à caresser. Que la peau de mes doigts cessent enfin de creuser et s’apaise. Je voudrais mon chien en peluche, mes chats et ton corps enveloppé par les draps.
Je ne sais pas renoncer à l’idéal, cette fleur magnifique avec laquelle je vis depuis plusieurs années. Et quand je déplore les débris, quand ils cachent le restent, je sanglote comme un chaton perdu, comme quand je sais que je n’aurai jamais la mère que j’attendais, et que j’espère encore en dépit de sagesse et de discernement.
Je me dois d’accepter ce qui ne peut être changé, d’apprendre avant cela à distinguer tout ce qui est mouvant de ce qui est immuable.
Je me dois d’aimer, sans juger, l’autre comme il est, pour vivre la rencontre.
Je me dois de me préserver, de prendre soin.
Je refuse en revanche d’accepter que personne d’autre que moi n’est présent pour le faire.
Mais il y a autre chose.
Il y a mes exigences en gueuleton effroyable et la mode de chez nous. Il y a peu de lumière, l’impatience du printemps, le syndrome prémenstruel, l’héritage familial de croyances putrides qui nous souillent le corps dans le circuit des veines. Il y a les sangsues qui avalent ce liquide. Qui pourriront la terre du jus des injonctions, de votre système qui nous dépasse, de l’arrogance de vos lois, du cul bien lourd de celui qui prend tout ce qu’il peut, qui ne voit pas le problème.
Quand je me déshabille le soir, de nouveau effrayée, il reste mon cœur enveloppé d’un papier de honte. Je le déplie lentement.
Je vois mes peurs intimes corrélées à mes refus plus grands. La liberté dit-il c’est d’abord un vertige.
Je me sens piégée, je rêve que l’on m’enferme, que l’on m’agresse, que l’on m’étouffe. Je dois me battre ou fuir à ce que dise les uns.
Moi je ne pense qu’à transformer la lutte et changer la bataille en un amusement. Qu’y a-t-il de plus transgressif que l’irrévérence joyeuse ?
Je recherche l’agréable et l’accomplissement, apporter aide de temps en temps à qui en ressent le besoin, car la beauté du vivant ne parviendra jamais à qui crache dessus.
J’attendrai mon tour, qui viendra plusieurs fois, je ferai la magie et puis les autres jours il me sera donné de choisir la fête ou encore le repos, la créativité, le café, l’écriture. La carrière c’est un bon ciment capitaliste, un concept absurde d’efforts à s’en ronger les os.
Je fais mon deuil du monde auquel je m’attendais. Je me fais à l’idée de ne jamais le voir. Je fais vœu d’y prendre part selon mes amusements, je trouverai à creuser de multiples façon. Je sais où se situe ma plus grande fêlure, je suis incapable de creuser longtemps seule.