Journal de Louve #67 Sur les flancs
Il fait sombre par vagues. Il fait trembler. Les filets postés tout autour de moi. Rude ne s’excuse pas.
Son amour est ses dires, et lorsque l’on regarde, on voit. Ses mains tournent à l’envers et son visage ne plisse que le contraire.
Prestidigitateur ou affamé, Rude avance sur les flancs, veut dévorer, voler l’approbation. Par ruse si nécessaire. Lorsqu’on dit non, il acquiesce. Il reviendra plus tard, il s’en fait la promesse. S’y prenant autrement pour obtenir quand même. Passant sous vigilance. Ce qu’il veut est son du, il trouvera un oui en fouillant nos entrailles, ou l’obtiendra lors d’un bruissement où l’on ne regarde pas.
Il se sert dans les autres. Aucune erreur ne porte son nom si elle n’est pas ensuite monnaie d’échange.
Admettre c’est perdre. Concéder c’est perdre. Tout sauf se soumettre. Rude va livrer bataille.
Il me tire les cheveux, la manche de mon blouson, la mine renfrognée et la moue maîtrisée.
Tu ne veux pas m’écouter, je trouve ça injuste. Je suis déçu. Tu me le dois.
Rude n’a pas eu de chance, la vie a été difficile avec lui. Le grand méchant loup rôde encore quelque part et peut le rattraper. C’est l’orphelin des histoires, il en conte tous les soirs. Sa plus grande crainte surtout c’est qu’on ne le voit pas, qu’il passe indifférent, plus de vie à voler.
Au fur à mesure il déverse au visage ce qu’il n’a pas déchargé dans les bennes à ordure. La frustration l’électrise. Incapable d’en faire quoi que ce soit d’autre, il la crache aux être qui le contrarient. Il salit les corps et leur fait peser dessus ses privations de desserts, jalousies malvenues et ses mécontentements.
Avec tout ce que j’ai fait pour toi. Je suis quelqu’un d’honnête.
Rude fabrique une salive acide nommée ressentiment. Au lieu d’admirer le vivant et de parler plus bas pour ne rien casser, son obsession furieuse cogne dans la porte, arrache les pages des mains et donne un coup de pied sur les fragilités.
Rude emploie à merveille ses propres douleurs, les saigne et les retourne pour les faire gicler particulièrement sous un monde qui regarde. Quand on est tous à table, il distribue les cartes ne triche pas tout à fait, il exploite les petites lignes, tâtonnant le terrain avant pour vérifier si tous les convives sont prêts à faire confiance, prêts à accepter.
Rude glisse dans ses poches nombreux compatissants, petites souris dressées, longe sans regarder au delà des pupilles l’âme qu’elles habitent. Il en fait un élevage de personnes qui l’approuvent. Il critique, critique, en éclat sur les vitres. Et les vitres fendillent. Tant qu’il n’y a pas de bruit, il ne regarde pas, laisse les fêlures serpenter le long de la paroi. Lorsque la vitre brise d’avoir pris les coups, Rude accuse le verre.
On lui laisse la parole ensevelir les vêtements, le canapé, nos ombres et lettres manuscrites pour faire la place aux siennes.
Rude nie les tentatives et fuit les cœurs ouverts, ça pourrait s’arranger. Il lui faut saborder, employer les souris pour ses intérêts, reprendre dans la soupière quand on lui a dit non. Continuer à se plaindre et puis à être plaint sans prendre des nouvelles. Et lorsque desséchée je crie maintenant ça suffit, Rude hausse les épaules. Pourquoi s’énerver Souris, pourquoi faire tant de bruit, puisqu’avant, ça fonctionnait comme ça.
Je ne te reconnais plus, en fait, depuis le début, tu es une hypocrite. Je te croyais gentille, je te croyais plaisante, tu agissais pour m’arranger souvent. Ce que tu dis me contrarie, tu n’approuves plus mes actes. Souris, tu es vilaine, puisque tu m’as blessé. Comme je ne peux pas m’en vouloir, je ne peux pas t’en parler, tu vas devoir changer pour me convenir.
Rude jette un regard à ses filets, où que j’aille, il trouvera la vengeance à venir, tout est prêt. Le public est installé, il n’a plus qu’à dérouler l’attitude qu’il a vérifiée irréprochable depuis longtemps.
Enfin Souris, pourquoi n’as tu rien dit ?
Et Rude croise les bras.
Souris ne veut plus jouer, c’est qu’elle n’a pas d’humour. Tout ça c’était pour rire, tu en fais tout un drame. Souris est éraflée des frottement des débris de verre sur le sol, c’est qu’elle est trop sensible. Souris ne tolère pas les propos ambigus, c’est qu’elle a mal compris.
Souris n’approuve plus les actes, devient une proie, une cible à abattre, menace à dominer. On va la museler pour la faire obéir. Si on ne peut la séduire. Pourquoi l’apprivoiser ? Elle n’est plus si docile, comme elle pense par elle même. Il faut mieux médire sur son pelage hirsute pour qu’elle ne soit pas trop appréciée, la décrédibiliser pour que sa parole entière soit mise en doute, la rendre muette. Il faut rester le Rude qui a raison, magnanime, humble et noble, seule victime de l’histoire. Il faut raconter aux générations la version dans laquelle Rude a donné une chance, a toujours agit correctement, a tout tenté. Souris est ou folle ou bien elle est mauvaise. Rude dit à tout le monde qu’il a fait ce qu’il a pu quand Souris, elle, ne dit rien à personne.
Souris pourrait avoir raison, il faut la mettre à terre. Pour Rude le doute est une abysse profonde, Souris pense autrement et a osé lui en projeter sur les doigts. Rude ne s’en remet pas.
Elle devra, pour le satisfaire, soit l’aimer et revenir confondue en excuses, soit le craindre et se taire. Approuver l’attitude de Rude, quoi qu’il arrive. Même ses irrespects, toujours légitimes puisque ses douleurs permettent de confondre les êtres et les décharges en toute impunité.
Rude et autres habiles fourbes à ma table, je ne vous laisse plus faire. Ces frasques n’ont pas à se trouver dans un monde sensible que l’on veut tenir beau. Je vois vos masques, sachez-le. Et qu’à trop vouloir regarder ailleurs pour ne pas me mêler de toutes vos intentions, j’ai laissé avancer Rude au delà de sa place.
Maintenant je dis.
Aucune dépouille ancienne ou mauvais souvenir ne justifie la surdité des êtres, de voler consentement, l’obtenir par la force, par la crainte, ou par quelconque magouille. Aucune douleur ne permet de nier d’avoir fait, pour garder son ego sans aucune éraflure. Rien ne permet les cailloux jetés en pluie sur les fenêtres ou sur les yeux même si Rude répond qu’il fallait simplement fermer les paupières pendant sa colère.
Rude fait n’importe quoi. Puis dément. Recommence. Il veut il prend. Abime accuse.
Je vous arrêterai avec ou sans amour si vos peurs ont les dents longues et s’avancent vers moi. Je vous ai prévenu, je ne m’enfouirai nulle part. Cette fois, je me battrai.
Ne pas regarder pour ne pas voir que l’on blesse, que l’on néglige et ne pas l’admettre est une menace.
Vous cherchez, soyez sûrs, vous trouverez la riposte à mesure de ce que, du monde, vous aurez abîmé.
Je vois, ne pardonne pas. Et je ne vous crains plus. Puisque vous piétinez sans attention, sans prévenance, les parterres de fleurs en train de pousser, je plante autour des brasiers. Vous ne pouvez feindre de ne l’avoir pas vu. Je les allumerai si vous avancez tout de même sur terrain défendu.