Le repaire de glace – Chapitre #23

Chapitre 23 – Vers le soleil

Je berce Givre doucement, adossée au tronc, en écoutant les bourrasques de vent tourbillonner. Un son lointain d’un des morceaux de ma liste me parvient aux oreilles. Je tourne la tête vers les stries de lumières du soleil à travers les branches, qui commence à se coucher.

La porte de la cuisine s’ouvre. Niels ajuste le col de sa veste, sort son paquet de cigarettes. Il m’aperçoit et le remets doucement dans sa poche.

Givre bondit et le rejoint en trottinant. Niels s’approche, Givre dans les mollets.

— Sacrée journée, dit-il en s’asseyant à côté de moi contre le tronc.

— Oui.

Givre donne des coups de truffe sur la main de Niels qui lui caresse la tête, puis distrait par une feuille morte soufflée par le vent, entreprend d’aller lui courir après.

— Mais c’était chouette, dis-je en tirant sur les manches de mon manteau pour recouvrir mes mains.

— Oui, c’était chouette.

Il regarde devant lui et sourit.

— Est-ce que ça suffira … laisse-t-il en suspens.

J’interroge Niels du regard.

— J’ai consulté quelques articles sur l’évènement qu’a présenté Ambroisie. Ils ont proposé un concert de Lucas-Lucas en piano voix dans un univers nostalgique. Les photos présentent des pochettes de vinyles déclinées partout. Ca avait l’air classe et émouvant. C’est aussi un bon niveau.

Au fur et à mesure que Niels me décrit l’évènement, j’ouvre des yeux de plus en plus ébahis. J’hésite mais je dis tout bas.

— C’était le premier évènement que j’avais mené chez eux.

— Je me doutais, dit-il en riant.

Je relève la tête.

— Comment ?

— Ils ont appelé ça Les mouvements du bruit. C’est de toi ça, non ?

Je hoche la tête, imperceptiblement. Je laisse en dedans la colère crépiter et apprécie en même temps la douceur Niels, sa main est posée dans l’herbe à quelques centimètres de moi.

— J’espère vraiment gagner contre abruti, je peste.

— Il a l’air de t’en avoir fait baver, dit-il sérieusement.

Une bourrasque vive m’arrache une larme, que j’essuie sur ma joue.

J’attrape sa main et la presse un instant.

Niels tourne la tête vers moi et me sourit.

Il laisse sa main dans la mienne, j’ai l’impression qu’il la serre lui aussi.

Le souvenir du scandale de Victor dans la cuisine m’assaille suivi d’un désagréable frisson. Je lâche sa main et m’entoure de mes bras.

— Niels, dis-je. Je … suis vraiment désolée, encore. Tout à l’heure, dans la cuisine …

Je me passe la main dans les cheveux et regarde mes pieds.

— Je me sens vraiment ridicule …

Il m’adresse un regard encourageant.

— Et puis pour ce que Victor t’a dit. Je suis désolée qu’il t’ai mêlé à ça. C’était ridicule, je répète. Et inapproprié.

Je sens la chaleur m’envahir et mes mains trembler légèrement.

— Enfin, c’est ridicule qu’il te le le dise, parce que ce n’est pas du tout inapproprié qu’il le pense. Enfin …

Je me tais, me mords la lèvre et passe la manche de mon manteau devant ma bouche. Je m’arrête, consciente du massacre que je ne fais qu’empirer.

— Je ne t’ai pas trouvée ridicule, répond-t-il. Tu ne t’es pas du tout laissée faire.

Je le regarde, surprise.

— Tu as beaucoup de courage, Livia.

— Ah oui ?

— Oui, confirme-t-il amusé en regardant devant lui. Tu es courageuse. Et brillante, obstinée et vraiment captivante.

— Ca fait beaucoup non ? dis-je riant et en arrachant un brin d’herbe.

Niels tourne la tête vers moi.

— Mais Livia, tu me plais, dit-il en souriant sur un ton d’évidence.

Une douce chaleur se diffuse lentement dans ton mon corps. Le vent balayent nos cheveux qui frémissent autour de nos visages.

Je n’ose pas croiser son regard.

— Je te plais … dis-je en jouant avec mon brin d’herbe.

Je regarde Givre renifler une branche, la prendre entre ses dents et repartir en trottinant vers le soleil.

— Tu es un monde entier qui ne fait aucun bruit, je récite.

Il étire ses lèvres et hoche lentement plusieurs fois la tête.

— Je me doutais que tu l’avais lu.

Je plante mes yeux dans les siens. Je m’approche et joue un instant avec ses cheveux décoiffés par la brise. Il replace une de mes mèches derrière mon oreille et se penche doucement vers moi. Je ferme les paupières et apprécie la rencontre de mes lèvres sur les siennes.

Il glisse sa main sur ma nuque pour mieux me rendre mes baisers. Je pose ma main sur son torse et la glisse lentement jusque dans ses cheveux.

Givre aboie plusieurs fois en courant tout autour de nous. Niels dépose un baiser au coin de mes lèvres, je reprend sa main dans la mienne. Il me regarde intensément.

La musique de Reviens pour l’hiver résonne à travers la vitre du café. Il sourit tandis que je détourne le regard.

— Sympa ta playlist, plaisante-t-il.

Je pose ma main sur son bras et secoue la tête en riant doucement.

Franck sort en trompe de la cuisine. Il nous aperçoit, adopte un instant un mouvement de recul, puis il appelle :

— Niels, Livia … Mais qu’est-ce que vous faites là ?

Il se ravise et poursuit.

— On vous cherchait ! Le jury a publié les résultat.

Je lance à Niels un regard enthousiaste et impatient. Je bondis et lui emboîte en le tirant par la main.

Nous entrons dans la salle. Léo nous toise d’un regard sévère et froid.

Hélène sert des cafés et les passe à Vanessa qui les dépose sur le bar.

— Servez-vous, dit Vanessa.

Je m’installe sur un tabouret. Niels s’accoude. Franck se place devant l’écran de son ordinateur portable. Tous les visages se tournent vers lui.

— Mesdames, Messieurs, nous tenions tout d’abord à vous remercier de votre implication … bla bla bla, dit lit Franck. Ils reprennent le contexte d’ouverture de chaque établissement et détaille la composition des équipes.

Niels pousse discrètement une tasse vers moi avant de se servir.

Léo baisse les yeux sur ma tasse, puis il regarde Niels d’un air assassin et se focalise de nouveau sur Franck. Niels, attentif à la lecture, pose les deux mains d’un côté et l’autre de sa tasse.

— Ils ont d’abord évalué les points forts des deux prestations. Ils disent qu’Ambroisie est un établissement solide et sérieux depuis plusieurs années, une véritable référence dans le domaine qui a fait ses preuves à la fois dans la qualité évidentielle et culinaire.

Je ne peux m’empêcher de serrer les dents.

— … et que le Repaire est un café proposant nouvellement une programmation culturelle convivial avec une programmation pleine de fraicheur assurée par toi Livia …

Franck lève les yeux vers moi. Il parcourt la suite et sourit :

— couplée à une carte pilotée par le patron de l’établissement et confiée à la créativité et l’expertise incontestées du jeune prodige Niels Skov … Ils parlent de ton prix, Niels.

Niels reste impassible, les yeux dans son café. Je vois Léo discrètement lever les yeux au ciel.

Franck balaye le paragraphe et commente.

— Ils écrivent que la prestation que nous avons présentée a sans conteste proposé une très forte qualité d’innovation mêlée à une véritable maîtrise et expertise des domaines culinaire et évènementiel; un tour de force d’autant plus étonnant que les missions sont confiées à de jeunes personnes prometteuses et prouvant une grande capacité de réflexion, lit-il.

Niels m’adresse un regard complice.

— Ils disent que l’évènement d’Ambroisie assurait une une participation à la hauteur d’expertise attendue pour une compétition de ce niveau. Ils ont en revanche perdu des points sur l’item innovation, le concept de l’évènement ayant été affiché à leur catalogue depuis déjà plusieurs éditions.

J’écarquille les yeux et me retiens de sourire. Franck fronce les sourcils en parcourant la suite :

— Ils n’ont pas oublié d’être bêtes.

Je guette la suite en me tordant les mains.

— Ils écrivent que ces derniers temps, la programmation et la carte certes toujours qualitatives d’Ambroisie semble s’essouffler en termes d’innovations et de nouvelles idées. Point fort sur lequel Le Repaire a pu se démarquer en apportant des propositions nouvelles d’une grande fraicheur dont l’audace et la pertinence apporte le niveau convivialité attendu.

Franck affiche un sourire ironique et suspens un moment sa lecture.

— Nous notons que l’implication manifeste de Livia Canvel à la conception de la direction artistique d’Ambroisie et du Repaire successivement, peut être un élément déterminant des dynamiques que ces deux lieux.

— Les expertises respectives culinaires et évènementielles du Repaire correspondent à l’identité du festival Blues en hiver, c’est à cet établissement que nous proposons notre coopération pour l’édition …

Des cris de joie et des applaudissements d’équipe retentissent et couvrent la voix de Franck. Léo reste les bras croisés et le regard froid sur le comptoir.

— Bravo à vous, dit Vanessa.

— C’est génial, dit Hélène.

Niels se rapproche de moi, juste assez pour passer discrètement une main sur ma taille.

— Allez, on trinque ! s’exclame Franck.

— Au Repaire.