Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #22

Chapitre 22 – Magie Bleue

Je mets mon manteau à la va-vite.

— C’est bien le jour ! je peste en cherchant mes clés.

Je regarde sur le bureau, fouille dans mon vide-poches.

Givre aboie en me suivant de près.

Je fouille machinalement les poches de mon manteau, en ressort mon trousseau. Je fais tomber en même temps le petit rouleau de citation que Niels m’avait donné.

Givre le fait rouler vers moi avec sa truffe. Je me baisse pour me ramasser et le remets dans ma poche.

Je sors, Givre dans les bras, et ferme la porte à clé d’une main.

L’air est glacial. Je regrette d’avoir mis une jupe, un pantalon aurait été plus chaud. L’heure ne me permet pas de faire demi-tour.

J’installe Givre dans la voiture et gratte le pare-brise pour retirer le gel. Je sens l’extrémité de mes doigts picoter. Je m’installe au volant, souffle sur mes mains pour les réchauffer. Je prends une grande inspiration et démarre la voiture.

Je sors la laisse de Givre de la boîte à gants et entreprends de trouver l’anneau sur son collier. Givre s’ébroue et remue dans tous les sens.

— Tiens-toi tranquille, petit Givre.

Il descend de la voiture et commence à trottiner en direction du Repaire en tirant sur la laisse. Je place ma main gauche au chaud dans ma poche. Mes doigts trouvent le papier. Je le sors et le déroule devant la porte du café.

Bleuets – “Le mieux est de jeter un regard en arrière pour constater que des surprises, il y en a eu, et qu’en toute probabilité, d’autres surgiront.” p.83

Je regarde l’intérieur par la porte vitrée. Niels, derrière le comptoir s’affaire déjà. J’observe un instant de loin sa silhouette se tourner, attraper le torchon. Il passe sa main dans ses cheveux. Je souris.

Givre gratte contre la porte d’entrée. J’entre, détache la laisse de Givre et dépose mes affaires.

— Salut, dit Niels.

— Salut, dis-je en m’asseyant face à lui au comptoir.

Je l’observe un instant en pensant à la citation de mon calendrier de l’avent. Je me demande s’il l’avait lue avant de me la proposer.

— Je te fais un café ?

Je m’étire longuement sur le tabouret de bar.

— Oui, un double s’il te plaît.

Niels rit.

— C’est vrai qu’il est tôt.

Givre commence à faire un sort au tapis à franges au milieu du café.

— Il a mangé du lion ce matin, ce petit, remarque Niels.

Accoudé au comptoir, il remonte les manches de sa veste en velours bleu marine et saisit sa tasse à deux mains. Je fixe les avant-bras de Niels mouchetés de traces, on dirait des constellations.

Je me surprends à vouloir y passer mes doigts et rive mes yeux sur ma tasse de café.

Franck sort de la cuisine et se sert un café.

— Tout est bon pour vous les jeunes ?

Nous hochons la tête. J’essaye d’agir naturellement en chassant les pensées qui viennent de me traverser l’esprit.

— Parfait. Je vais aller finaliser les paperasses du concours, j’en ai pour une petite heure. Si vous me cherchez, je serai dans le bureau, dit-il en levant sa tasse et en s’éloignant.

Léo arrive, nous salue succinctement. Niels prend sa tasse par l’anse et part dans la cuisine.

Léo pose son sac à dos et m’interroge du regard :

— On s’y met ?

Je regarde ailleurs.

— C’est parti.

Nous déplaçons les tables autour de l’espace dédié à la scène.

— Tu installes la sono aussi ou je le fais ? demande Léo.

— Vas y, je t’en prie. J’ai encore quelques petites choses à faire.

Je sors d’un cageot des bouquets de fleurs séchées et en dispose un sur chaque table. Je parsème des pétales de fleurs bleus comme Alizée l’avait fait sur son stand.

Je reprends ma liste.

Je traverse la salle pour aller allumer le vidéoprojecteur sur le rideau argenté. Les glaciers et forêts commencent à défiler.

Léo est parti essuyer des couverts. Je m’approche de la sono, tout semble installé. Je mets en route la liste de morceaux.

Un homme barbu, frappe à la porte du café et passe la tête, hésitant.

— Pardon, me dit-il alors que je m’approche. J’ai une livraison pour le Repaire.

— Oui, dis-je en regardant derrière moi. Je vais vous chercher quelqu’un.

Je me presse d’aller frapper au bureau.

— Franck, j’ai la livraison à la porte d’entrée.

Je passe la tête par la porte. Franck, éclairé par une petite lampe est penché sur des feuilles de papier, un stylo à la mains.

— Niels peut s’en occuper ? demande-t-il sans lever les yeux.

— Je pense.

Je traverse la salle dans l’autre sens.

Niels, dans la cuisine dépose une plaque de cuisson sur le plan de travail.

— Niels, pardon de déranger. Un monsieur voudrait livrer quelque chose. Il est devant.

— Ah, dit-il.

Il retire ses maniques et m’emboîte le pas vers la porte d’entrée.

— Est-ce que vous pouvez passer par l’arrière, s’il vous plaît ? je l’entends demander au livreur.

Je vois l’homme barbu secoue la tête, lui faire signe d’attendre une minute et part vers son camion.

J’ajuste le volume de la musique et teste le micro.

Niels retourne vers la cuisine, deux cartons dans les bras.

Je parcours la salle du regard pour vérifier qu’un menu figure bien sur chacune des tables.

En effectuant le chemin dans l’autre sens, je n’aperçois pas Givre.

Je passe la porte des sanitaires, toutes les cabines sont ouvertes, vides.

— Givre ?

Je reviens sur mes pas, balise à nouveau le café du regard, cherche sous les tables.

Je frappe à la porte ouverte du bureau.

— Givre n’est pas avec toi ? je demande à Franck.

Il regarde vaguement autour de lui et reprend son formulaire.

Inquiète, je jette un regard sur l’extérieur. Il aurait pu passer la porte au moment de la livraison.

J’entends un retentissant bruit de casseroles, puis de verre qui se casse. Givre aboie et sort de la cuisine en trottinant, un fenouil entre les dents. Il me rejoint joyeusement et s’assoit devant moi en remuant la queue. Il mâchouille le fenouil en me regardant de ses yeux luisants. Un chemin de farine marque les traces de ses pattes de la cuisine jusqu’à mes pieds.

Je pose une main sur mon visage.

— Oh non. Givre.

Je me baisse pour récupérer le fenouil. Il resserre les crocs autour. Je lui caresse la tête et lui fait lâcher prise.

— Tu ne dois pas aller dans la cuisine.

Givre patine sur mes mollets pour récupérer son jouet.

— Reste-là, maintenant, je lui dis fermement.

Je sors de ma sacoche un petit canard en peluche et lui dépose entre les pattes, puis je m’engouffre dans la cuisine.

Je contemple les dégâts. De la sauce s’écoule d’un contenant renversé sur le plan de travail sur le carrelage. Les légumes s’échappent des cageots. Niels accroupi sous le plan de travail frotte avec un torchon, ses vêtements parsemés de farine blanche.

— Oh mince, Niels, je suis vraiment désolée.

Il se retourne un instant impassible. Il a de la farine dans les cheveux. Il rencontre mon regard et son visage s’éclaire doucement.

— Tu es désolée ? Donc tu viens avouer que c’est toi qui a mis le bazar dans la cuisine ? J’aurais plutôt dit que c’était une sorte de peluche blanche de petite taille.

Il se lève et contourne le plan de travail pour s’approcher de moi.

— Tout ça pour subtiliser un … fenouil ? dit-il en regardant les fanes s’échapper de mon poing.

Je me retiens de sourire, embarrassée. Il prend le fenouil et le dépose sur le coin d’une étagère.

— Je suis vraiment désolée, je répète. Je vais t’aider.

Je redresse la casserole renversée et prends une éponge pour absorber le liquide répandu sur le sol. Niels rapatrie les légumes dans les cageots.

— Ce n’était pas grand chose, dit-il lorsque tout est fini.

— Tu n’avais pas besoin de ça, je rétorque. J’aurais du le surveiller.

— Mais non, ne t’en fais pas. Je venais de cuire les steak hachés avant de quitter la cuisine, l’odeur a du lui plaire.

Niels se lave les mains et les essuie sur un torchon propre.

Je remarque les pains à hamburgers, tout juste sortis du four, cette fois, ils sont de toute petite taille. Fort heureusement ceux-ci sont indemnes suite à la visite surprise de Givre.

Niels suit mon regard posé sur les petits pains et me demande :

— On recommence comme la dernière fois ?

Je laisse m’envahir une onde de chaleur. Le rouge me monte aux joues et détourne le regard vers la porte.

— Il vaut peut-être mieux que j’y retourne, dis-je. J’ai encore des choses à terminer.

— Oui, je me doute.

Je contiens à frisson et me dirige vers la salle à contrecœur.

— Bon courage, me dit-il.

— Oui, dis-je en lui souriant. Toi aussi !

Je trouve Léo en train d’ouvrir la porte à Malone. Je les rejoins à l’entrée du café.

— Bah la voilà, lâche Léo froidement avant de retourner sans un mot derrière le comptoir.

— Salut Malone !

— Salut Livia, s’exclame-t-il.

— C’est chouette que tu sois venu.

— Avec plaisir, dit-il en déposant sa housse de guitare.

Je lui montre la scène.

— Je te laisse t’installer ? Les gens vont commencer à arriver dans une demi-heure.

— Yes !

Malone sort sa guitare de sa housse, la branche et commence à jouer des arpèges sur le manche.

Je circule entre les clients en guettant par la porte l’arrivée du jury.

Je rejoins le comptoir où Niels, sorti de la cuisine, glisse un mot à Hélène en regardant la salle.

— Il y a beaucoup de monde, dis-je en me penchant vers eux.

— C’est ce qu’on se disait, répond Niels.

— Victime de notre succès … dit Hélène en haussant les épaules.

— Oui, je réponds en souriant.

— Il aurait été confortable d’avoir une personne de plus.

Je la regarde embarrassée.

— Je peux appeler Vanessa ? propose Hélène. Elle est en vacances et en ce moment elle est à la maison.

Niels et moi nous consultons du regard et échangeons un signe d’approbation.

— Si ça ne la dérange pas, je dis, ce serait super, Hélène.

Elle sort son téléphone de sa poche et le porte à son oreille.

— Je reviens.

— Merci, je lui dit avant qu’elle ne sorte par la porte de derrière.

Je regarde la salle, estimant le nombre de clients présents. Il est dix heures passées.

Niels pose une main sur mon épaule et m’adresse un sourire confiant.

Je lui rends son sourire et me retourne vers la salle.

Léo dépose son plateau sur le comptoir, lève furtivement les yeux vers nous. Un air dédaigneux se peint sur son visage. Il prends trois tasses à café qu’il dépose sur le plateau et repart apporter la commande.

La porte s’ouvre, un groupe d’hommes, tous en costume, entrent dans le café.

Je m’encourage mentalement et part à leur rencontre.

Malone se présente au public et entonne les premières notes d’une de ses nouvelles chansons.

Quelques-uns des membres du jury sont attablés autour de chips de légumes, de feuilletés saucisse et de hamburgers miniatures. Léo arrive et dépose deux plateaux de brochettes au romarin, en plaisantant avec un.

Il quitte la table, se penche vers Vanessa et lui désigne une table dans le fond de la salle. Vanessa sort de sa poche arrière un carnet de notes et un stylo et se dirige vers les clients.

Deux autres des hommes en costume sont au comptoir, chacun un verre à la main.

Un tonnerre d’applaudissements retentit. Malone enchaîne avec un autre morceau. Un nouvel homme en costume apparaît derrière la porte embuée. Victor entre dans le café, croise des regards à tout va et hoche la tête pour saluer des personnes dans la foule. Il aperçoit la table des jurys et leur adresse un large signe de main en écartant les doigts.

Nos regards se croisent. Il me rejoint, l’air nonchalant, les mains dans les poches.

— Voilà Livia, dit-il d’un ton narquois.

Je reste immobile ignorant son intention de m’embrasser pour me saluer.

— Tu es ravissante, remarque-t-il d’un ton exagéré en me regardant de haut en bas.

— Arrête, dis-je en gardant les yeux rivés sur le concert.

— Comment tu vas, s’enquiert-il, ce doit être un moment important pour toi ?

Je plisse les yeux, tentant d’ignorer son ton condescendant.

— Tu as intérêt à te tenir tranquille, je préviens.

Il feint un air étonné, et tourne la tête tout autour pour regarder la décoration.

— C’est … charmant, finit-il par lâcher.

Je le plante là et part retrouver Jenny que je reconnais à une table, Milo sur sur ses genoux.

— Coucou Jenny, c’est chouette que tu sois venue, dis-je à voix basse pour ne pas déranger le concert.

Jenny se tourne vers moi.

— Je suis venu avec Christophe, il est saxophoniste.

Le dénommé Cristophe m’adresse un salut en faisant une visière avec sa main. J’aperçois une housse contre le mur à côté de lui.

— Il voudrait jouer quelques morceaux sur la scène ouverte.

Je hoche la tête, enthousiaste.

— Super, je dis à Jenny.

Je me présente à Christophe et lui fais signe que je l’inscris sur la liste de passage.

Malone salue une dernière fois. Je le remercie chaleureusement d’être venu.

Je laisse le public applaudir encore un peu.

— Vous le retrouverez bientôt ici, si vous l’aimez ! j’annonce.

Les applaudissements finissent par s’éteindre. Je rapproche le micro et annonce l’ouverture de la scène ouverte.

— Nous allons commencer cette toute première scène ouverte avec Christophe ! Il est saxophoniste et je suis sûre qu’il va vous épater. Je vous propose de l’applaudir bien fort.

Je profite du passage de Christophe pour passer dans les rangées et inscrire d’autres volontaires.

Après son passage, j’annonce une chanteuse et me dirige vers le comptoir. J’attrape un verre à pied et me sers un verre de blanc.

— Oui, Livia est une femme surprenante, je lui ai toujours dit, répond Victor a un homme en costume.

Il profite de mon passage pour m’attraper par le coude et m’invite à rejoindre la conversation.

J’adresse un sourire au membre du jury et lui tends la main.

— Livia, enchantée.

— Oui, j’ai beaucoup entendu parler de vous, répond-t-il. Théodore Masson.

J’inspire profondément, intimidée de faire sa connaissance.

— Théodore est journalise spécialisé dans la musique et les Festivals, m’explique Victor.

— Oui, je sais, dis-je en tentant de garder un ton naturel.

— Je disais à Théodore à quel point tu pouvais te montrer imprévisible. Toujours là on l’on ne t’attend pas.

Je serre les mâchoires consciente de la double interprétation que peut engendrer volontairement sa remarque.

Un autre membre, un homme âgé à l’expression sévère nous rejoint, et me tend la main :

— Armand Tissot, j’étais impatient de faire votre connaissance jeune fille.

Je tente de ne pas me formaliser et me redresse, tenant la tête haute.

— Enchantée, dis-je en m’appliquant à prendre une voix basse et posée.

— Victor ne tarit pas d’éloges à votre égard, c’est un concurrent particulièrement faire-play, fait-t-il remarquer à son collègue.

Victor se tenant en arrière accoudé à une colonne, me regarde en souriant et lève son verre :

— Il y a de la place pour tout le monde dans ce milieu, affirme-t-il, autant nous entraider.

Sa remarque me donne la nausée. Je resserre les doigts autour de mon verre. Léo arrive face à moi. Il me contourne pour prendre une coupelle de macarons sur le comptoir, le regard froid.

J’adresse un sourire crispé aux membres du jury et leur fait signe que je dois retourner dans la salle.

— Excusez-moi, dis-je, je dois y retourner.

— Naturellement, répond Armand.

Je me dirige vers la scène, consciente que je laisse le champ libre à Victor et à ses discours à double sens. Je fulmine mais affiche le sourire le plus sincère dont je suis capable avant d’annoncer le musicien suivant.

— Il nous vient de loin, il a fait plus d’une heure de route pour venir vous présenter son univers. Il reprend des poèmes classiques et les compose au ukulélé. Voici Bastien Bay.

Les clients applaudissent. Je sens la sueur perler dans mon cou.

Je regarde Bastien, me tenant debout à côté de la sono.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, et l’amour infini, me montera dans l’âme …

Je me laisse bercer par la voix rocailleuse. Sa douce mélodie offre au Repaire un instant d’accalmie. Je joins mes mains et détend les épaules. Je voudrais m’endormir paisiblement et me surprends à penser à Niels avec qui tout est simple. Et j’irai loin, bien loin. J’imagine ce que cela ferait d’être contre lui. Par la nature heureux, comme avec une femme.

Un bruit de vaisselle retentit dans mon dos du côté du comptoir. Je me retourne, Niels me regarde, une tasse à la main en train de ranger, quand nos yeux se croisent, me sourit. Un mauvais contact émet de légers bruits parasites, je repositionne le jack. Le grésillement s’estompe. Je me retourne à nouveau.

Niels termine de ranger les tasses toujours les yeux sur moi, le sourire au lèvres.

Bastien salue le public, je reprends le micro et annonce le dernier participant.

J’attends qu’il démarre et règle la musique.

Je sens une pression sur ma jupe, je baisse les yeux, Milo tire le tissus et me tend un macaron. Je lui caresse brièvement les cheveux et le remercie. Milo part en babillant dans l’autre sens. Je lève les yeux, au comptoir Niels, accoudé sur la caisse à verres, le visage dans la main, me regarde toujours. Son sourire espiègle m’emplit dans une chaleur intense intente. Je lui souris aussi.

Le dernier participant remercie le public. Je pose le macaron moite sur la table. Je regagne la scène et remercie tous les artistes d’avoir participé, les clients et le jury d’être venus nous rendre visite.

Les clients chaleureux se tournent vers les membres en costume, les cherchant parmi la foule.

— Le Repaire, Le Repaire, clament les gens installés.

— Livia, Livia, on entend aussi.

— Et pour Livia allez allez.

Mes joues s’empourprent. J’adresse un signe de tête plein de reconnaissance. Je serre le micro contre moi et dit merci à la foule par un mouvement des lèvres.

Je retourne à la table de mixage pour relancer la musique d’ambiance.

Quelques clients viennent me saluer avant de partir.

Le journaliste attend son tour derrière eux pour me parler. Je termine ma conversation et le considère du regard en adoptant un air professionnel.

— Livia, nous allons y aller, merci beaucoup pour votre convivialité. C’est un endroit très chaleureux ici, la compétition s’avère serrée.

— Oui, dis-je en adressant un signe de la main à Jenny que je vois partir derrière lui. Nous avons aussi une clientèle qui y concours beaucoup.

— Vous savez la créer, dit-il avec un clin d’œil. Je ne doute pas une seconde du fait que vous savez ce que vous faites.

— Je pense que la musique a ce pouvoir de faire se rencontrer les gens sur d’autres plans en dehors du langage usuel. On entre dans des univers dans lesquels on est saisit, simplement parce qu’on écoute. On se retrouve à se glisser dans les mots des autres et à regarder le monde autrement, à percuter l’intimité des autres alors que d’ordinaire on y a peu accès et par cela, on se retrouve complètement surpris de se trouver soi-même où on ne s’attendait pas.

Théodore hoche longuement la tête avant de reprendre la parole.

— Philosophe qui plus est. Je vous remercie Livia. Peut-on aller faire nos compliments au chef ?

Je lui indique la cuisine.

— C’est par là.

Quelques minutes plus tard, je vois le groupe sortir de la cuisine et Franck les raccompagne à la porte du café.

Je m’engouffre dans la cuisine. Niels lave des ustensiles dans le bac à vaisselle.

— Comment ça va ? je lui demande.

— Bien, dit-il.

Je l’interroge du regard.

Il s’essuie les mains et se retourne vers moi.

— Nous n’avons entendu que des compliments. Maintenant à voir ce qu’il advient.

— Oui …

— J’ai entendu le président dire qu’ils annonceront les résultats à dix-huit heures.

J’attrape mon téléphone en bandoulière et je consulte l’écran.

— Ok.

Je me retourne.

Je me retrouve nez à nez avec Victor qui frappe à la porte de la cuisine.

— C’est mignon, dit-il ironique en nous regardant Niels et moi.

— Victor, je le coupe, tu n’as rien à faire ici.

— Je venais faire mes compliments au chef moi aussi. Mais je vois que le chef est parti … constate-t-il d’un regard lourd de sous-entendu.

Je me poste devant lui et lui bloque le passage.

— Victor, je vais reformuler : tu n’as rien à faire ici, dans ce café.

Il lève un sourcil, prêt à me défier.

— Et pourquoi ne serais-je pas le bienvenu dans ce café, au demeurant particulièrement accueillant ?

Niels m’adresse un regard soutenant, se tient en avant prêt à faire un pas.

— Ca suffit Victor, je lui dis fermement. Tu as volé mes idées, mon réseau. Tu m’as trompé avec une employée que j’avais moi-même recrutée. Ta cruauté n’a aucune limite. Tu as fait ta réputation sur mon concept après mon départ et maintenant tu viens foutre ta merde dans l’endroit que j’ai trouvé.

Le sourire de Victor se crispe.

— Donc non, tu n’es pas le bienvenu Victor. Alors tu ne remercie personne, tu prends tes affaires et tu dégages.

Victor hausse les sourcils, prend un air innocent comme s’il ne comprenait pas pourquoi il se faisait réprimander. Il se tourne lentement, sa veste à son bras.

— Puisque c’est comme ça …

Il s’arrête, tourne la tête vers Niels et lui dit :

— Félicitations. C’est vrai que Livia a toujours su repérer les talents… et s’entourer de ce qu’il y a de mieux.

Niels lève à peine les yeux vers Victor, continue d’essuyer l’écumoire comme s’il s’agissait d’une tâche requérant beaucoup d’attention et déclare sur le ton de l’évidence.

— Livia n’est pas comme ça.

Victor attend un moment décontenancé. Il comprend que Niels n’ajoutera rien et sort de la cuisine.

J’hésite à le suivre. Je me retourne vers Niels qui pose son écumoire et pose un regard sérieux sur moi.

— Je suis vraiment désolée Niels, dis-je, le cœur battant à tout rompre. Je suis désolée que tu aies assisté à ça.

Je voudrais disparaître tant la honte m’envahit. Les propos de Victor défilent et je pose un instant les mains sur mes tempes. J’aimerais oublier tout ce qui vient de se passer.

— Et je suis vraiment désolée pour ce qu’il a dit. Il croit que … enfin.

Je ne sais plus où placer mes mains, consciente que je ne fais qu’empirer la situation.

— Oui, je sais ce qu’il croit, répond Niels calmement.

Je sais que mon visage devient entièrement rouge. Je détourne le regard et je baisse les épaules, fatiguée de lutter.

— Je vais te faire un verre d’eau, me dit Niels avec un sourire en coin.

Il verse de l’eau dans un verre qu’il me tend.

Je le saisis en faisant attention à ne pas toucher sa peau, je bois lentement.

— Merci, je lui dis. Je vais retourner en salle.

Il confirme d’un signe de tête.

De retour dans la salle, je constate que l’exaltation est retombée. Beaucoup de personnes sont parties après la scène ouverte. Il ne reste qu’une poignée de clients attablés autour d’un café ou d’un chocolat chaud.

Franck me trouve et frictionne mon bras, enthousiaste :

— Les jurys étaient emballés, hein !

Je tente de lui sourire. Il change de visage.

— Oh bah Livia, tu as l’air épuisée. Pas étonnant avec toute cette agitation. Prends une petite pause, va.

— Oui, merci Franck.

— Tu restes avec nous jusqu’à l’annonce des résultats ?

— Bien sûr.

Je prends mon manteau et passe devant Léo qui m’adresse à peine un regard austère. J’appelle Givre et ouvre la porte menant à la terrasse.

— Givre, allez viens petit loup.

Je ferme la porte derrière moi.

L’air frais emplis mes poumons, j’imagine qu’il vient balayer toutes les saletés qui résident dans mon abdomen. Givre jappe à mon attention. Je m’agenouille près de lui et le serre fort dans mes bras.

Je regarde par la fenêtre Hélène encaisser un couple de clients. L’homme remarque les tasses du calendrier de l’avent sur le comptoir et les montrent à la femme. Hélène parle avec les mains, elle doit leur expliquer le principe du calendrier de citations. Elle saisit une tasse, consulte le nombre inscrit dessus et la tend à la femme. Après toi, semble-t-elle dire en ouvrant sa main vers l’homme.

Il pioche un papier qu’il déroule et consulte. Son visage s’ouvre peu à peu en découvrant le contenu. Il le tend à la femme et ses yeux s’illuminent, elle pose une main sur l’épaule de l’homme et le regarde tendrement. Tous les deux remercient Hélène et sortent du café.

Une douce chaleur s’engouffre dans mon ventre et se diffuse agréablement sous ma peau. Le contenu du papier du 23 décembre me revient. Je voulais y conclure en point d’orgue le thème Hiver Bleu. Je connais le fragment pas cœur pour en avoir découpé une dizaine de rouleaux. La citation dit :

Pourquoi le bleu ? Je ne sais jamais comment y répondre. Il ne nous est pas donné de choisir qui l’on aime, ai-je envie de dire. Nous n’avons pas le choix, voilà tout.

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