Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #19

Chapitre 19 – Amer

Perchée en haut de l’escabeau, je tente d’accrocher une nouvelle fois le rideau qui vient de s’effondrer.

— Attends moi, Liv’, je vais venir t’aider, dit Léo, passant en courant d’air du comptoir vers la salle.

Je tire sur le rouleau adhésif et regarde la tringle. Il aurait fallu faire des trous dans le tissus, et l’accrocher avec du fil. Je ne vais tout de même pas demander à Jenny si je peux faire des trous dans son tissus argenté.

— Descends Liv’, je vais l’accrocher, dit Léo en posant son plateau.

— C’est déjà la deuxième fois qu’il tombe, je peste en descendant les marches. Je pense qu’il va falloir trouver une autre idée.

Léo me caresse les cheveux avant de monter sur l’escabeau.

— Je m’en occupe.

— Tout est prêt pour demain, Livia ? demande Franck en se postant devant nous.

— A part le rideau ? plaisante Léo en enroulant le ruban adhésif autour de la tringle.

Je le fusille du regard sans qu’il ne puisse me voir.

— Il nous faudrait des épingles à nourrice, dis-je.

— Pas de problème, dit Frank. On peut commander quelques courses de dernière minute, j’irai les chercher tout à l’heure.

— Oui, ce serait bien, je lui réponds en sortant de mon sac un bloc de post-it. Je vais commencer une liste. Merci beaucoup. Pour le reste, je crois qu’on est prêts.

— Parfait, déclare Franck

Il saisit un bloc-notes et un stylo qu’il agite nerveusement puis appelle Niels depuis la salle.

Je scrute la porte ouverte de la cuisine, Niels apparaît, les mains dans les poches de son tablier.

Franck regarde sa feuille. Il récapitule rapidement le menu. Léo qui a enroulé un coin du rideau de fortune à la tringle redescend les marches en écoutant.

— A 11h30, Livia tu pourras proposer leur repas aux trois intervenantes. On servira le déjeuner aux clients à partir de midi.

Niels, Léo et moi hochons la tête.

— On préparera des plateaux pour le menu unique, enchaîne-t-il à l’attention de Niels. Ce sera plus simple. On déposera seulement les hamburgers à l’assiette. Tu pourras t’en charger ?

— Oui, répond Niels.

— Niels et Livia , vous êtes de fermeture ce soir.

Léo regarde ailleurs, un rictus s’affiche un instant sur son visage. Franck poursuit.

— Je vous propose d’installer les tables dès 18h si vous n’avez pas trop de monde, car demain matin, Niels et moi serons occupés au montage des hamburgers. Cela te laissera le temps d’accueillir correctement les intervenantes, Livia.

— Ok, très bien, je réponds.

Léo fait signe à Franck qu’il doit retourner s’occuper d’un client dans la salle. Franck approuve d’un mouvement de tête et part de son côté.

Je tourne les yeux vers Niels, suis des yeux la ligne de ses épaules et m’arrête sur le grain de beauté dans le creux de son cou. Niels se retourne vers moi, mon regard tombe dans le sien.

Envahie par une vague de chaleur, je détourne les yeux. Je regrette immédiatement mon réflexe et sens le rouge me monter au visage. Je me retourne vers les décorations pêle-mêle sur la table, saisis à la hâte une suspension de fleurs brodées et file vers le comptoir.

Je bouscule au passage un homme qui attend d’être servi devant la vitrine des viennoiseries.

— Pardon, dis-je en tentant de retrouver mon calme.

— Ca alors, s’exclame-t-il, Livia !

Je me retourne, ma suspension de fleurs à la main. Il me tend le bras et m’embrasse sur les deux joues.

— Salut Malone, comment vas-tu ?

— Bien ! Ca fait un bout de temps, remarque-t-il.

— Oui, c’est sûr, lui dis-je. Qu’est-ce que tu fais là ?

— J’allais te poser la même question. Tu travailles ici ?

J’acquiesce. Hélène lui tend son café. Il ouvre les mains d’un geste hésitant.

— Tu as quelques minutes ? me demande-t-il.

— Oui, dis-je ravie de le retrouver.

Je croise au loin le regard interrogateur de Léo et lui sourit avant de m’asseoir avec Malone à la table qu’il m’indique.

— J’ai posé mes affaires, ici, me montre-t-il.

— Je vois que tu n’es pas venu les mains vides, dis-je en appréciant la housse de guitare posée contre une chaise.

— En fait, reprend-t-il, figure toi que je venais chercher un lieu pour jouer. J’ai appris que le Repaire proposait depuis peu une programmation culturelle. J’imagine que ta présence y est pour quelque chose.

— Gagné, dis-je enjouée. Les nouvelles vont vite, cela ne fait que quelques semaines que je travaille ici !

— Et comment ça se passe ?

— Bien !

Je sens deux mains se poser sur mes épaules. Je relève la tête.

— Salut, dit Léo à Malone en lui tendant la main.

— Salut, répond-t-il.

Je présente les deux hommes.

— Léo, voici Malone et Malone, Léo.

— Enchanté, dit Malone.

Léo lui adresse un sourire avenant.

— Malone fait partie d’un groupe qui reprend des chansons folk, j’explique.

Je me tourne ensuite vers Malone, en ajoutant :

— Léo fait un peu de guitare aussi.

— Oui, confirme Léo. Surtout quand c’est toi qui chante.

Il m’adresse un sourire charmeur et m’embrasse sur la tempe.

— Je dois y retourner. A tout à l’heure.

Il regarde Malone d’un air appuyé.

— A un de ces jours.

Malone regarde Léo partir d’un air amusé.

— Tu dois en avoir des choses à raconter.

Je ris.

— Et toi, donc. Si tu cherches des dates, est ce que tu aurais sorti un nouvel album ?

Malone sort son téléphone de sa poche. Il lance un morceau et approche l’appareil de mon oreille.

— Vous avez ajouté du synthé ?

Il hoche la tête. J’écoute la suite, emballée de retrouver son style sur de nouveaux morceaux.

Malone arrête la chanson.

— Ca te plaît ?

— Oui, beaucoup, dis-je. J’irai écouter le reste. Mais je n’ai pas de doute sur le fait que je te trouverai une petite place ici pour une soirée.

— Merci Livia, c’est cool.

— Je t’en prie, votre musique vaut le coup d’être découverte !

Il m’adresse un regard plein de gratitude et prends une gorgée de son café.

— Vous allez tourner un peu dans le coin ? je lui demande.

— On commence juste à chercher des spots. En tout cas, on retournera pas à Ambroisie, lâche-t-il saracstique.

Je sens ma gorge se serrer. Malone m’adresse un regard bienveillant.

— C’est plus du tout comme avant. Victor n’arrive pas à renouveler ses évènements, ni son réseau. On voit bien qui assurait, pas vrai ?

Je me force à sourire, partagée entre l’envie de le remercier et le goût amer d’un lamentable gâchis.

— Il y a des moments compliqués quand on gère un bar, il va sûrement finir par reprendre les choses en main, à sa façon.

Malone hausse un sourcil, incrédule.

— Tu parles, ce mec est un vrai con ! On est déjà pas mal à aller chercher ailleurs. En bossant comme ça, il va pas faire long feu.

Je ne cherche pas à le contredire. Une partie de moi se sent soulagée de l’entendre aussi franchement parler.

Malone se lève et saisit sa housse par la poignée.

— Je vais y aller Livia, ça m’a fait super plaisir de t’avoir croisée.

— Moi aussi, Malone, vraiment ! J’écoute ton album et je te donne des nouvelles.

— On reste en contact ! Lance-t-il en m’adressant un signe de la main.

Je copie la liste des morceaux de ma sélection sur la déclaration des droits de diffusion.

Léo s’assoit à côté de moi sur le canapé et dépose devant moi une tasse de café. Je lui serre la main furtivement.

— Merci Léo, c’est sympa.

— Alors, c’est qui ce Malone ? demande-t-il de but en blanc.

Je me raidis et continue à taper sur mon clavier.

— Un musicien et chanteur de folk, comme je t’ai dit.

— Mmm, marmonne Léo.

— J’ai programmé son premier concert quand je bossais à Ambroisie.

— Tu connais du beau monde, dit Léo en croisant les bras.

Je pose mon ordinateur sur la table basse.

— Oui, je réponds avec évidence, c’est mon métier.

Je hausse les épaules.

— Il n’y a rien entre vous ? insiste-t-il.

Je retiens un soupire, consciente que montrer mon agacement ne ferait qu’empirer les choses.

— Non, Léo. C’est un artiste que je programme. Il est très cool et sa musique est chouette, je suis sûre que ça pourrait te plaire si tu arrêtais de te faire des idées.

— Je vois, dit Léo sur la défensive. Il n’a que des qualités !

Je me retourne vers lui et tente de lui parler avec le plus de douceur possible.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Pour rien, lâche-t-il en s’engonçant dans le canapé.

Je laisse Léo bouder et reprends mon ordinateur sur mes genoux pour finir mes démarches. J’ai hâte de voir passer l’après-midi et de retrouver Givre qui est resté à la maison.

Léo s’approche de moi et passe sa main dans mon dos. Je relis plusieurs fois l’intitulé de la question sans parvenir à me concentrer.

— Excuse-moi, Léo, je voudrais terminer ça.

Sans interrompre son geste, Léo dépose un baiser sur mon épaule. Il glisse sa main sous l’arrière de mon pull.

— On s’est pratiquement pas vus de la semaine, dit-il d’un ton plaintif. Je t’avais demandé si l’on pouvait se retrouver rien que tous les deux.

J’ignore ses propos et lis une troisième fois l’intitulé de la question sur le formulaire. Je commence à taper quelques mots. Léo promène ses lèvres dans mon cou.

— Je t’ai dit que tu comptais pour moi, je ne sais pas si toi aussi, ça compte pour toi.

Je fixe l’écran de mon ordinateur. Mes doigts n’écrivent plus.

— Ca te dit de passer à la maison ce soir ?

Je secoue la tête.

— J’ai laissé Givre à la maison, je préfère passer la soirée avec lui. Et puis, demain, c’est le marché de Noël. On devrait se reposer.

— Il a bon dos le marché de Noël.

Je soutiens le regard de Léo une poignée de secondes. Il ajoute.

— Parfois je me demande si on est vraiment ensemble.

Mon regard devient froid. Je prononce d’une voix basse :

— Léo ça suffit, j’ai bien compris ce que tu veux.

Je laisse un silence rassemblant mes pensées, il n’ose pas m’interrompre. Je me redresse et le regarde très sérieusement.

— Il faut qu’on couche pour qu’on soit vraiment ensemble ?

Léo cramoisi se raidit, ses doigts se crispent sur la housse du canapé. Il détourne le regard.

Je ferme mon ordinateur, le glisse dans ma sacoche.

Je passe devant le comptoir où Franck et Niels sont en train de prendre le café.

— Je vais bosser une heure ou deux, au calme, dis-je à l’attention de Franck, essayant de mesurer l’agacement dans ma voix. Je reviens tout à l’heure installer avec toi Niels.

Les deux hommes hochent la tête, interloqués, trop polis pour me demander quoi que ce soit.

Mes yeux se posent sur un petit papier traînant sur le comptoir. Quelqu’un a pioché la citation du jour du calendrier de l’avent et a dû la laisser là.

Va voir par toi-même, ne demande pas ce qui est vrai et ce qui est faux, mais ce qui est cruel et ce qui est amer, ce qui est plaisant.

Bleuets, Maggie Nelson, p.91.

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