Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #15

Chapitre 15 – Les traces

Le Bleu des mots tapisse mon ennui de gris.

Un silence suit la lecture, la femme plie le papier et le met dans sa poche.

— C’est une très bonne idée, merci Livia.

Elle retourne à sa table.

Mes yeux se perdent dans la salle. Je repère Givre couché sur un tapis.

Je passe derrière le comptoir et fais couler la machine à café. Je regarde lentement le jet remplir la tasse. Je la prend lentement, m’installe. Les pieds ballants, assise sur le tabouret de bar, je tourne les pages de mon cahier dans un sens puis dans l’autre.

Des bras entourent mes épaules.

— Liv’, susurre-t-il. J’aime pas quand tu broies du noir comme ça.

— Je ne broies pas du noir, Léo. Je ne suis juste pas dans mon meilleur jour.

Il m’adresse un regard taquin, l’air de dire qu’il n’en croit pas un mot. Il m’embrasse sur la tempe et repart dans la salle, un torchon sur l’épaule.

Je baisse à nouveau les yeux sur mon cahier. Expire longuement. Je rassemble mon courage et me dirige vers la cuisine.

Niels y est seul, s’essuie les mains sur son tablier et me fait signe d’entrer.

— Tu as une minute ? Je lui demande en m’appuyant contre le mur.

— Oui.

Il pose son économe et me regarde attentivement.

Dans le fond de la pièce, mon regard est attiré par un nouveau four.

— Vous l’avez changé ?

Niels suis mon regard.

— Oui. Les joins étaient fichus, la ventilation aussi.

Ca a du coûter cher, je me dis. Je n’ose pas faire de commentaire.

— Tu voulais me demander quelque chose ? me demande Niels.

Je reprends le fil de ma pensée et lui pose ma question.

— Est-ce que l’on propose un menu du jour « de Noël » pour le mini-marché du 14 décembre ?

— Oui, ça me dirait assez. J’ai pensé à un velouté de potimarron aux épices et un hamburger de Noël.

Je souris, intriguée.

— Qu’est-ce qui fait qu’un hamburger est un hamburger de Noël ?

Niels hausse les épaules, jouant l’évidence.

— On fait un chutney.

Je me mords la lèvre en laissant mon regard dans le sien.

— Un chutney c’est sorte de compote sucrée-salée, légèrement acidulée à base de fruits et de légumes, et de quelques épices.

— D’accord, dis-je en riant.

— Affaire conclue, alors !

— Pas tout à fait.

Niels lève le menton et attend la suite.

— Il nous faut absolument du chocolat, je déclare l’air faussement sérieux.

— Tu me donnes des ordres ? demande-t-il avec humour et d’un léger air de défi.

Je rougis et m’empresse de rectifier.

— Pardon, je lui-dis. Ce n’était pas mon intention.

— Je sais.

Il dépose son économe dans l’évier, comme si de rien n’était. Je m’apprête à sortir de la cuisine.

— Livia, m’arrête-t-il.

Je reviens sur mes pas.

— Tu auras tout le chocolat que tu veux. En forme de sapin et avec ça dessus.

Il sort d’une boîte deux petits sachets de vermicelles alimentaires : des flocons de neiges blancs et de petites paillette bleues irisées.

J’imagine les sapins en chocolat décorés et posés sur les plateaux, cela me redonne un élan d’enthousiasme. Je relève des yeux émerveillés.

— J’étais sûr que ça te plairait, dit-il.

— Tu les avais déjà commandés pour le mini-marché de Noël ?

— J’avais peut-être anticipé les desserts, plaisante-t-il. Ca te convient ?

Je hoche la tête.

Je lui dépose dans la main les deux sachets de vermicelles. Mes yeux parcourent de nouveaux les reliefs de sa peau sur ses avant-bras.

— Est-ce que je peux te demander quelque chose ? je murmure.

Il s’immobilise un instant. Je lève les yeux vers lui, je comprends qu’il sait déjà ce que je vais lui demander. Il attend simplement que je le formule.

— Comment tu t’es fait ça ?

Il s’éclaircit la voix.

— Quand j’étais apprenti, je travaillais dans une cuisine un peu trop exigüe et beaucoup trop vieille. Un feu s’est déclaré à cause d’un appareil défectueux. J’ai voulu m’interposer entre un collègue et la gazinière. Mes manches se sont enflammées.

— Ca a du être une grosse brûlure, dis-je.

Je regarde ailleurs, j’ai peur de trop insister.

— Tu n’as pas arrêté de cuisiner après ça ?

Il secoue la tête.

— Non. Je ne vais pas m’arrêter de faire ce dont j’ai envie parce que j’ai peur.

Un silence prend doucement sa place. Je sens une vague de courage me gagner. Je hoche la tête, et me dirige vers la porte.

— Merci … pour le menu de Noël.

Je regagne le comptoir et parcours une nouvelle fois mes notes, rassérénée.

Je consulte mon téléphone, j’ai manqué un appel. Je compose le numéro de la messagerie. Jenny confirme sa présence pour le mini-marché. Je lui renvoie les informations détaillées par sms et coche la case Trouver trois intervenants pour le marché de Noël sur ma liste.

Givre sur les genoux, je montre à Franck mes trouvailles au complet.

— Et elle, c’est Jenny. Elle crée des jouets pour les enfants en crochet, en tricot et coud des accessoires.

— C’est très joli, dit Hélène en regardant l’écran de mon téléphone par dessus l’épaule de Franck.

Léo ramène à ce moment les dernières tasses de la salle. Il ouvre le lave-vaisselle et le remplit.

Il tourne la tête vers moi, je lui montre la photo. Il me retourne un signe de validation.

— Oui, c’est bien, c’est varié et ça donnera sûrement envie aux clients de venir, déclare Franck. Tu as fait un super travail, Livia. Je suis épatée que tu aies trouvé ces personnes en quelques semaines et en respectant le budget. Tu as même gardé une marge, autant te dire que je ne peux que t’en être reconnaissant.

Il échange un regard satisfait avec Léo.

Je remballe mes affaires, impatiente de rentrer. Je fais signe à Givre de sauter. Il couine en atterrissant par terre et m’attend au pied de ma chaise en secouant la queue.

— Doucement, Givre, doucement, dis-je en souriant.

— Au fait, Livia, dit Franck d’un ton sérieux.

J’interrompt mon geste, laisse retomber le rabat de ma sacoche.

— Oui ?

— Je te demande pardon pour hier. Je suis allé trop loin. J’étais inquiet et je n’ai pas cherché à comprendre ce qui s’était passé. Je n’aurais pas du te parler comme ça.

— Merci Franck, dis-je en avalant ma salive. Je pense qu’il y a vraiment eu plus de peur que de mal.

Il hoche gravement la tête. J’ajoute :

— Heureusement que Niels a trouvé le courage d’affronter la situation, malgré ce qui lui est arrivé.

Hélène et Léo froncent les sourcils et se consultent l’un l’autre.

Je regarde à mon tour chacun d’eux, puis Franck. Est-ce qu’ils ne comprennent pas ce à quoi je fais allusion ?

— Niels a eu un accident, dans un incendie, quand il était apprenti, je dis. Il a voulu écarter son collègue d’une gazinière qui a pris feu et c’est sa blouse qui s’est enflammée.

Face à leur visage déconfit, je comprends qu’aucun d’entre eux n’était au courant. J’espère que Niels ne m’en voudrait pas d’avoir raconté ce qu’il m’a confié. Je balbutie :

— Franck … tu travailles avec lui tous les jours. Enfin, vous aviez tous remarqué qu’il avait des marques sur les bras. Vous ne lui avez pas demandé ?

— Si, dit Franck. Il m’a juste répondu qu’il avait été brûlé plus jeune dans un accident.

J’interroge du regard Hélène. Un silence s’installe et se prolonge.

— Il n’en a parlé à aucun d’entre vous ? je demande, insistant.

Hélène hausse les épaules.

— Niels ne parle jamais de lui.

Léo baisse les yeux, ses bras accoudés au comptoir semblent tendus. Franck propose un dernier verre avant de quitter le café. Je rassemble mes cheveux sur l’une de mes épaules et passe la lanière de ma sacoche sur l’autre.

— Non, merci, je vais rentrer, je réponds.

J’accroche la laisse au collier de Givre qui s’ébroue et je me dirige vers la porte.

— Au revoir tout le monde, à demain !

Je claque la porte derrière moi, Léo la rouvre précipitamment.

— Attends, Livia, ne pars pas comme ça.

Il est dehors en tee-shirt. Je le regarde, attendrie.

— Je vais chercher mon manteau, je peux te raccompagner ?

Je pose ma main sur son bras.

— Non, merci. Je dois rentrer promener Givre et je suis fatiguée, j’ai envie d’être un peu tranquille. Mais c’est vraiment gentil de m’avoir proposé.

Il passe son bras autour de mes épaules et m’attire contre lui. Je respire son parfum et me niche au creux de son cou.

Il m’embrasse les cheveux, longuement. Lorsque je me dégage, il pose ses mains sur mes hanches. Je caresse sa joue de haut en bas et passe mes doigts sur son menton, appréciant le grain rugueux de sa barbe.

Givre tire sur la laisse. Je tiens serrée la poignée contre moi.

— Bonne nuit, alors, lui dis-je en souriant.

Il s’approche et me donne un dernier baiser, sur la joue.

— Bonne nuit.

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