Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #14

Chapitre 14 – Cendre

J’arrive tôt au Repaire. Je pousse la porte, pensant aux nombreux préparatifs qui m’attendent.

Les paupières encore pesantes, je salue Franck et Niels et m’installe au comptoir.

Niels m’adresse un très bref signe de tête et file vers la cuisine.

Je regarde le soleil se lever depuis la fenêtre, dans mon fauteuil préféré. Givre termine sa nuit sur mes genoux. J’enroule les citations en parchemins et passe un fil autour tout en réfléchissant à la forme que pourrait prendre le calendrier. Il me reste quelques jours avant de proposer aux clients d’ouvrir la première case, mardi prochain. Je n’aurai pas le temps d’en fabriquer un entièrement.

Léo surgit derrière mon fauteuil, je ne l’ai même pas entendu entrer dans le café.

— Salut Princesse, me dit-il en m’embrassant tendrement.

Je lui rends son baiser et lui sourit.

— Tu as bien dormi ?

Je hoche la tête.

— Et toi ?

— J’ai eu du mal à m’endormir. J’avais vraiment hâte de te retrouver, me dit-il en me regardant intensément.

J’incline la tête et lui caresse la main du bout des doigts.

La voix de Franck gronde depuis le comptoir.

— Bon les amoureux, quand vous aurez terminé ! Léo tu pourras laisser Livia travailler et servir les clients.

Quelques regards de clients déjà installés se tournent vers nous. Je sais qu’il plaisante, pourtant mes épaules se tendent.

Léo saisit mon visage dans mes mains, m’embrasse à nouveau.

— A tout à l’heure, dit-il avant de filer rejoindre Franck.

— C’est ma copine ! dit-il à l’habitué qui s’était retourné.

De loin, je voix Franck taper sur l’épaule de Léo, sans doute le félicite-t-il ou lui dit-il qu’il est content pour nous.

Je souris en soupirant et retourne à mes parchemins. Léo va s’empresser de mettre tout le monde au courant, il va falloir que je m’habitue à l’idée.

Lorsque j’ai terminé d’enrouler toutes les citations, je m’accorde une pause café. Je me lève et m’étire. Givre fait de même.

J’attrape une tasse dans le bac sous le comptoir. Une grande.

Franck sort de la cuisine et dépose des muffins aux myrtilles sur le présentoir.

— Ils sont trop beaux ! je m’écrie. Ils ont l’air délicieux.

— Oui, répond-t-il, Niels prends le thème très au sérieux.

— C’est ce que je vois ! A propos Franck, je voudrais terminer le calendrier de l’avent dont je t’avais parlé pour mardi … as-tu des tasses à café dont tu ne te servirais pas ? je demande en désignant le bac.

— Bien sûr, ce n’est pas ce qui manque ici ! On garde de la vaisselle dans la cuisine. Demande à Niels, je dois aller à la poste.

Franck enfile son manteau et sort son trousseau de sa poche.

J’entre dans la cuisine d’où s’échappe la délicieuse odeur des muffins qui viennent juste de sortir du four.

— Tes muffins ont l’air vraiment délicieux, dis-je à Niels.

— Hmm … fait-il en pressant délicatement sa poche à douille sans détourner les yeux du gâteau.

— Franck m’a dit que je pouvais trouver de la vaisselle que vous n’utilisez pas ici. Est-ce que je pourrais prendre seize tasses à café ?

Il se retourne vers moi et lève un sourcil.

— Tu veux utiliser des tasses à café pour ton calendrier ?

— Oui, je m’exclame, surprise. Comment as tu deviné si vite ?

— Tu bosses dessus depuis des jours.

— C’est vrai.

— Qui plus est, trois semaines sans les dimanches et les lundis, plus le mardi 24. Ce n’était pas très difficile à deviner.

Je reste silencieuse. Je ne sais s’il plaisante ou s’il ne se rend pas compte que ça n’allait pourtant pas tant de soi.

Il dépose la poche à douille sur le bord d’un plateau et me conduit à l’arrière de la cuisine.

— On range tout ça ici.

Il ouvre le couvercle d’une caisse transparente.

— Prends ce que tu veux, dit-il en tendant une main vers la collection de tasses empilées.

— Super, merci !

J’emporte des tasses en quelques aller-retours jusqu’au grand vaisselier de la salle. Je retire les objets décoratifs et les dépose soigneusement. J’ajoute une longue guirlande lumineuse qui court le long des étagères. Je découpe dans du ruban adhésif repositionnable un rectangle par tasse sur lequel j’inscris la date de chaque jour du calendrier où le café est ouvert, et j’ajoute un cœur à côté du 24.

— Tadam ! j’annonce tout bas pour moi-même en reculant de quelques pas.

Je trouve Givre assis à côté de l’entrée des toilettes.

— Qu’est-ce que tu en penses, toi ?

Léo passe derrière moi et siffle d’admiration en essuyant une table.

— Tu te surpasses vraiment, Liv’ !

Il m’embrasse les cheveux avant de retourner prendre une commande. Une cliente lève les yeux vers nous avec un sourire attendri. Je me sens rougir et retourne me réfugier dans mon fauteuil.

Je tire sur mes manches et me pelotonne contre le dossier.

Mon téléphone vibre, me tirant de mes pensées. Une légère boule au ventre me saisit, je tente de me rassurer. J’ouvre le message, Constance de la librairie confirme sa présence au mini-marché de Noël. Je bondis intérieurement. Les clients ne le savent pas encore, mais ils vont être ravis !

— J’en connais une qui a reçu une bonne nouvelle, dit Hélène en venant me saluer. Ne me dis pas que Léo t’envoie des déclarations d’amour pendant le service !

Elle m’embrasse sur les deux joues.

— Non, dis-je chassant le malaise. C’est Constance qui me confirme qu’elle viendra présenter des livres au mini-marché de Noël.

— C’est chouette, répond Hélène.

— Oui ! On travaille ensemble depuis un moment, elle n’est jamais en panne d’idées quel que soit le thème que je lui présente. Il ne me reste plus qu’un intervenant à trouver.

— Courage, me dit-elle. Tu t’en sors super bien. Ton calendrier est chouette aussi.

— Merci Hélène.

Je la regarde retirer les manches de son manteau.

— Mais au fait, pourquoi tu n’arrives que maintenant ?

— Franck m’avait proposé de commencer plus tard pour me reposer un peu, après la soirée d’hier. Finalement, je suis allée chez Vanessa. Elle avait un petit coup de cafard, je suis passée prendre un café chez elle avant de venir.

— Vous avez l’air de bien vous entendre toutes les deux.

— Oui, j’ai conscience que j’ai de la chance de pouvoir autant partager avec ma fille. Je pense que toutes les mères ne peuvent pas en dire autant.

— Tu y es sûrement pour beaucoup.

Elle regarde un instant ailleurs.

— Oui, tu as sans doute raison.

Elle me montre son sac et son manteau, me faisant signe qu’elle va les accrocher.

Je reprends mes notes. Léo vient s’accouder au dossier du fauteuil.

— On déjeune ensemble ?

— On n’a pas notre pause en même temps, je lui dis désolée. Je mangerai avant toi, comme on anime l’atelier de cuisine parent-enfant avec Niels.

— Ah oui.

Léo joue avec une mèche de mes cheveux.

— Tu refais pas tes anglaises ? dit-il en insistant sur le mot.

— Léo, je lui dis, en lui adressant un sourire crispé. Tu devrais arrêter de faire … ça.

Il me regarde sans comprendre.

Je tourne les yeux vers sa main dans mes cheveux et pince les lèvres.

— Ca te dérange ? demande-t-il.

— Non, enfin, si un peu. C’est que ça n’est pas trop l’endroit, tu vois.

— Moi, dit-il, ça m’est égal que tout le monde soit au courant.

Il s’apprête à s’éloigner, son plateau à la main, mais se ravise et m’envoie un baiser de la main.

— Mais j’ai compris, dit-il à voix basse en m’adressant un clin d’œil, ne t’en fais pas.

Niels dépose quatre bols en inox sur les deux tables réservées à l’atelier. J’installer des sets et des fiches sur lesquelles j’ai illustré la recette des sablés pain d’épice qu’il m’a confiée.

— Ces emporte-pièces sont adorables ! je m’exclame. Et qu’est-ce que c’est que ce rouleau à pâtisserie ?

Le rouleau est gravé de flocons de neige en reliefs.

— Quand on étale la pâte, les flocons s’impriment dessus.

— C’est trop chou ! je m’écrie.

Niels m’adresse un sourire en coin.

Je vois entrer un homme avec une petite fille.

— Je pense que c’est pour nous ! Ca va aller ? je lui demande.

Il me regarde, de son air impénetrable.

— Oui.

— Tout va bien se passer, je lui dis-je. Prêt ?

Il acquiesce. Je me dirige vers le duo qui vient d’entrer. Je nous présente Niels et moi et leur propose de s’installer.

Une deuxième famille arrive.

— Mais c’est Milo, je remarque. Bonjour Milo !

— Bonjour, oui, c’est Milo, me répond la femme en regardant le petit.

— J’ai vu Milo avec son papa, samedi dernier.

— Oui, tout à fait. Il m’en a parlé. Je m’appelle Jenny.

Je conduis Jenny et les deux derniers duos arrivés, aux tables réservées à l’atelier.

Niels se racle la gorge. Nous regards se croisent, furtifs. Il lève les yeux vers les clients et démarre l’atelier.

— Bienvenue, je m’appelle Niels, donc. Et voici Livia. Nous allons préparer ensembles des sablés pain d’épice avec un glaçage royal épicé.

Les enfants ouvrent des yeux impressionnés. Je souris à l’auditoire, je sais ce que ça fait d’entendre Niels parler pour la première fois.

Niels présente la recette que j’ai illustrée et lit la première ligne.

— Vous pouvez donc commencer par peser 200 grammes de farine.

Je me place à la deuxième table pour accompagner les participants.

Niels explique les étapes et les points de vigilance pour chacune d’entre elle. Il part en cuisine avec deux premiers groupes qui ont confectionné leurs formes de pâte crue. Pendant ce temps j’aide les autres groupes à terminer.

— Tu peux aller te laver les mains, Brune. C’est parfait !

La petite descend de sa chaise et sautille jusqu’aux sanitaires.

Nous rangeons les tables en attendant le tour de cuisson du groupe suivant.

— Regarde Milo toutes ces tasses ! C’est vous qui avez réalisé ce calendrier de l’avent, n’est-ce pas ? me demande Jenny.

— Oui, je l’ai terminé ce matin.

— C’est très beau. Mon conjoint m’a dit que vous vous chargiez de toute l’animation. C’est un sacré travail !

— Oui, mais un travail passionnant.

Je remarque le sac en crochet de Jenny. Des petites marguerites sont brodées dessus.

— Il paraît que vous êtes vous-même assez créative ?

Elle rit.

— Oui. J’ai monté mon entreprise. Je donne des cours de couture, de crochet et de broderie. Je réalise aussi des confections artisanales.

— Comme votre sac ?

Elle secoue la tête.

— Celui-ci, je l’ai réalisé pour moi. Mais je fais peu d’accessoires. Je réalise surtout des jouets pour les enfants. Des peluches, des poupées ou de la dinette. Je commence à faire des jeux de société aussi comme des jeux de mémory et des dominos.

— En crochet, je m’exclame. C’est génial !

Niels passe la tête par la porte de la cuisine et m’indique que les deux groupes suivants peuvent se préparer.

— Vous allez pouvoir aller faire cuire vos sablés, dis-je à Jenny.

Je passe un coup de torchon sur la table et l’interpelle de nouveau :

— Est-ce que cela vous dirait de venir exposer et vendre vos créations au mini-marché de Noël que nous organisons ici ? C’est le 14 décembre.

— Avec plaisir, répond-t-elle.

Je lui donne ma carte avec mon numéro.

— Je vous propose que l’on s’appelle, je travaille ici du mardi au samedi. Je vous laisse rejoindre Niels !

— Oui, dit-elle en riant. A plus tard alors.

Jenny range la carte dans son porte-monnaie et appelle Milo. Elle l’aide à porter la plaque de cuisson recouverte d’étoiles et d’ours en pâte à sablé.

Je guide également la dernière famille vers la cuisine.

Lorsque tout le monde est reparti avec sa pochette de sablés maison, je rejoins Niels dans la cuisine.

— On cuit les sablés de la pâte que tu as faite pour la démonstration, je lui demande.

— J’y comptais bien !

Il me tend le rouleaux aux motifs flocons de neige.

— Je te laisse essayer.

— Merci !

J’étale la pâte et m’émerveille des empreintes laissées dessus.

— Quelles formes on leur donne ? demande-t-il.

— Un peu de tout.

J’essaye tous les emporte-pièces. Nous déposons nos sablés dans une plaque. Niels la met au four.

Je nettoie le plan de travail puis me hisse dessus pour m’asseoir. Niels retire son tablier et son pull qu’il dépose sur une chaise, laissant apparaître de nouveau les marques sur ses bras. Elles s’étalent sur ses deux avant-bras et la gauche remonte même au dessus de son coude. On dirait des traces de brûlures. Je regarde ailleurs.

— Ca t’a plu, je lui demande, d’animer l’atelier ?

— Oui, dit-il en passant sa main sur sa nuque. Plus que je ne l’aurai pensé.

Il regarde le four un instant, haussant un sourcil, puis ajoute.

— C’est agréable et fatiguant à la fois. Je me demande où tu trouves une telle énergie !

Un craquement nous fait nous retourner tous les deux.

— C’était … le four ? je balbutie, sans trop y croire.

— On dirait …

Il hésite à s’approcher. Je le vois renifler l’air ambiant. Je crois reconnaître une odeur âpre qui me serre la gorge.

— Oh non, murmure Niels.

Son teint devient livide. Une fumée grise s’échappe des jointures du four.

La frayeur m’envahit. Je sens ma respiration s’altérer. Mes yeux vont du four, à Niels. J’aperçois, derrière lui, l’extincteur.

— Livia, sors de là, s’écrie-t-il.

Il se retourne et s’empare de l’extincteur, tandis que je fonce vers la porte.

Je l’ouvre. Je prends une bouffée d’air, puis d’autres, mon cœur tambourine dans ma poitrine à m’en faire mal. Je place la cale pour maintenir la porte ouverte et rejoins Niels debout derrière le plan de travail. Je pose ma main sur son torse. Des pulsations l’intérieur battent à toute allure.

— Tout va bien ?

— Oui, dit-il essoufflé.

— Il faut ouvrir les fenêtres !

Nous ouvrons en grand toutes les ouvertures, commençant chacun d’un côté.

Nous nous retrouvons devant la dernière fenêtre, je relève la poignée et tire vers moi.

Une bourrasque de vent s’engouffre dans la cuisine, fait voler mes cheveux et me fait frissonner. J’écarte une mèche de mon visage et m’entoure de mes bras. Je regarde Niels, les bras nus dépassant des manches de son tee-shirt. Il a la chair de poule.

La voix tonitruante de Franck s’approche.

— Mais c’est quoi ce cirque ?

Franck pénètre dans la pièce. Son regard circulaire parcourt la cuisine.

— Qu’est ce qui s’est passé ?

Il s’arrête sur Niels puis sur moi, sa mâchoire est tendue. Il prend une grande inspiration. Il se dirige vers la salle et ferme la porte avant de revenir se poster face à nous.

— Vous avez failli tout faire sauter ou quoi ?

Je sens ma gorge se nouer. Les yeux rivés au sol, je ne sais pas ce que je peux dire à Franck. Ses doigts tapotent sur une étagère, je le sens s’impatienter.

— Rassure-toi, il n’y a pas eu de flammes. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais de la fumée s’est échappée du four, ça sentait vraiment le brûlé tout à coup.

Niels se tient droit, les bras croisés sur la poitrine.

— Vous savez vous servir d’un four tous les deux quand même !

Je serre les poings. Des larmes se forment dans ma gorge, je les ravale péniblement. Je n’ose plus regarder Franck.

— Oui, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis vraiment désolée.

Franck s’apprête à parler de nouveau, mais Niels lui coupe la parole.

— Arrête Franck.

Franck nous adresse un air sévère, et je comprends qu’il attend de parler seul à seul avec Niels. Je me précipite hors de la cuisine et fonce vers les toilettes.

Je traverse la salle sans regarder autour. J’entends Léo m’appeler, je l’ignore et gagne le lavabo à grandes enjambées. J’allume le robinet, place mes mains en coupe sous le filet d’eau froide et me la fait couler sur le visage.

Je tamponne une serviette en papier sur mes joues pour me sécher, je jette la serviette et sors regagner mon fauteuil. Niels m’y attend, assis sur l’accoudoir.

Il se lève au moment où il me voit arriver.

— Je t’ai fait un café.

— Merci, je lui dis à voix basse.

Je garde les yeux rivés sur la table.

— Ca va aller, dit-il. J’ai parlé à Franck.

— Qu’est ce que tu lui as dit ?

— Que ce n’est pas notre faute. Et qu’il n’avait pas à nous parler comme ça.

Je lève les yeux, incrédule. Il réfléchit un moment, les bras croisés.

— Le four doit être défectueux, ou encrassé. Il va falloir faire faire un diagnostique.

— Je pense qu’il a eu peur, je réponds. Il s’est inquiété pour nous. Il voulait certainement bien faire en nous rappelant les règles de sécurité.

— Nous les avons appliquées, et personne n’a été blessé, répond Niels calmement. Tu l’as dit toi même, il n’y a pas eu de flammes.

J’attrape la tasse de café et souffle sur le dessus.

— Je comprends qu’il soit inquiet. Je ne sais pas comment on aurait pu éviter ça …

— En remarquant le dysfonctionnement et en faisant un diagnostique, ce que nous allons faire.

Niels se lève.

— Je vais retourner donner un coup de main à Franck.

— Niels, je lui demande, tu lui a dit qu’il n’avait pas à nous parler comme ça. Il ne devait pas être très content. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Il me regarde avec sérieux.

— Parfois, Livia, tu as le droit de faire comprendre aux gens que tu t’en fous.

Niels soutient mon regard un instant. Un léger sourire encourageant se dessine sur son visage.

Je penche la tête, essayant de déchiffrer ses paroles. Je prends une grande gorgée de café et croise les bras sur mon ventre en le regardant s’éloigner vers la cuisine.

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