Le repaire de glace – Chapitre #11
Chapitre 11 – La grande demeure
— Voilà la bestiole, s’exclame Franck en me voyant passer la porte avec Givre.
— Salut tout le monde, je chantonne en déposant mon parapluie.
— C’est ce temps de chien qui te rend guillerette comme ça ? me demande Hélène, amusée.
Ce temps de chien, je pense en regardant Givre, puis Hélène.
— Non, je souris. C’est que je suis contente de passer la journée avec Givre.
Léo, faisant tourner la machine à café pour l’équipe, ne me quitte pas des yeux, mais il n’a pas encore dit un mot. Il dépose nos tasses sur le comptoir avant l’arrivée des clients.
Je fais le tour des présentations.
— Voici Franck, dis-je en m’accroupissant pour capter l’attention de Givre.
Il jappe.
— Et Hélène.
— Coucou petit Givre, dit Hélène en lui tapotant la tête.
Givre s’ébroue et trottine jusqu’à mes jambes.
— Et lui, c’est Léo.
Léo s’abaisse vers Givre, qui se met à grogner. Léo se lève vivement et recule. Il écarte les bras en signe d’impuissance.
— Je suis désolée, Livia, je ne voulais pas lui faire peur.
Je secoue la tête, m’agenouille et gratte Givre derrière l’oreille.
— Il faut que je te présente Niels, dis-je en me relevant.
— Pas dans la cuisine, prévient Franck.
— Je sais.
— Niels ! appelle Franck. Ton café est servi.
Niels entre dans la salle et me salue d’un signe de tête. Son teint est terne et de gros cernes creusent son visage, il affiche toutefois le même air impassible. Je fais comme si je n’avais rien remarqué, mais Léo le charrie.
— Alors, ça tient pas le coup ?
— C’est bien de faire la fête garçon, mais avec le boulot qu’on a, ça doit être imppecable.
Niels opine, indifférent.
— Niels, voici Givre ! je présente.
Aussitôt qu’il aperçoit Givre, Niels étire légèrement les lèvres en un sourire contenu. Il se penche. Givre saute sur ses genoux et appose sa truffe sur le bout de son nez. Niels rit doucement et ébouriffe son poil en le caressant des deux mains.
Givre revient vers moi en sautillant et en jappant. Je mets un doigt sur ma bouche.
— Chut, petit chien. Les clients vont arriver.
— Le café va être froid, remarque Franck.
Niels va s’accouder au comptoir, je suis le mouvement et garde un regard sur Givre qui faire le tour de la salle en reniflant partout.
— Il est propre au moins ?
— J’ai apporté de quoi lui installer une litière.
— Une litière, répond Franck sceptique.
Les premiers clients entrent dans le café.
Franck enfile son tablier. Avant qu’il ne reparte, je lui dis :
— Je vais passer l’après-midi dehors. Il me manque encore quelques contacts pour le mini-marché de Noël et pour des ateliers. Je voudrais aller rencontrer quelques artisans.
Givre saute sur un fauteuil et fait rouler un coussin du bout de son museau. Les clients s’extasient en l’apercevant.
— J’emmènerai Givre avec moi, évidemment, je précise à Franck.
— Pas de problème Livia !
Niels précède Franck en repartant vers la cuisine, son café à la main.
— Tu déjeunes avec nous ? demande-t-il.
— Oui, je pensais partir en début d’après-midi.
— Parfait, ce sera parmentier végétal.
— Parfait, je répète.
Je profite de la tranquillité du café pour m’installer à une table basse. Je déballe mes fiches et mes croquis. Je fais défiler sur les réseaux sociaux les contacts d’intervenants qui pourraient m’intéresser.
Les Sources. C’est un atelier partagé entre plusieurs artistes qui exercent dans des disciplines différentes. Je reconnais l’enseigne. Je suis souvent passée devant la vitrine.
Je note l’adresse sur ma liste.
Léo dépose devant un couple à la table voisine deux formules petit déjeuner. Plongée dans mes recherches, je l’entend d’une oreille s’approcher. Il dépose une grande tasse de café sur ma table.
— Merci, lui dis-je en lui adressant un regard surpris.
— Te connaissant, un seul n’aurait pas été suffisant.
Je lui souris.
Givre passe devant lui et me rejoint sur le canapé.
— Ton chien ne m’aime pas beaucoup, me fait-il remarquer.
— Ne t’en fais pas, on a tout le temps pour faire connaissance.
Ma remarque lui laisse émerger un sourire.
Je fais signe à Léo que j’ai encore pas mal de travail. Il repart vers le comptoir. Givre se roule en boule contre ma cuisse, la tête entre les pattes.
Niels sort des soucoupes du vaisselier à côté de moi, et les dépose dans une caisse en plastique. La vaisselle qui s’entrechoque me tire de ma réflexion. Je repense à l’appel avec Stella le lendemain du concert.
— Pardon pour le bruit, me dit Niels, voyant que je regarde vers lui.
— Aucun problème, dis-je en souriant.
Niels s’approche avec la caisse en plastique et regarde Givre qui dort, par dessus mon épaule. Il ronfle discrètement.
Les soucoupes dans la caisse sont plus nombreuses que je n’en ai jamais vu de ma vie.
— Je suis sûre qu’ici, lorsque nous ne sommes pas là, la vaisselle se met à danser comme dans La Belle et La Bête.
— Qui fait La Bête ? demande-t-il de marbre.
Je hausse un sourcil et croise son regard fatigué.
— Ca va, toi ? je lui demande en souriant.
— Oui, j’ai seulement fait la fête un peu tard avec des amis.
Je parcours mes fiches du regard, sans savoir quoi dire.
— On a fêté la publication de mon bouquin.
Je reste sans voix et tourne la tête vers lui. Il se redresse et réhausse la caisse de soucoupes pour raffermir sa prise.
— Tu as publié un livre ? je l’interroge. Comment il s’appelle ?
— La grande demeure.
Je laisse un silence passer.
— Tu as un nom d’auteur ?
— Niels Stones.
Mon cœur accélère ses battements. Je me répète en boucle La grande demeure, Niels Stones. Pour être sûre de retenir.