Le repaire de glace – Chapitre #7
Chapitre 7 – Murmures partagés
Une sensation de lourdeur m’envahit tandis que je m’étire. J’ai la désagréable impression d’avoir trop dormi. Pas d’un sommeil paisible. Je me dépêtre des draps. Givre baille et frotte son museau contre moi. Quelle heure est-il ?
Je débranche mon téléphone et regarde l’heure. J’écarquille les yeux. Je devrais déjà être au Repaire. Mon cœur bondit dans ma poitrine, j’attrape un pantalon en velours et un pull qui me tombent sous la main. Je passe la lanière de mon téléphone autour de mon cou et pianote rapidement un message à Franck pour le prévenir.
Je tente d’enfiler une botte qui se révèle être celle prévue pour l’autre pied. Je renouvelle l’opération correctement, attrape mon manteau et ma sacoche.
Je passe la porte en regardant Givre d’un air désolé.
— Pardon, petit chien. Je reviens vite passer du temps avec toi !
Je déboule dans le café, quelques clients installés lèvent la tête devant l’ovation que l’équipe me réserve. Franck, Hélène, Léo et Niels frappent énergiquement des mains.
— Bravo Livia, clame Franck, pince sans rire.
— C’est ton premier retard, rit Hélène.
Je regarde l’heure, j’aurais du arriver il y a vingt minutes. J’accroche mon manteau en regardant les clients qui s’amusent un peu du spectacle. Un habitué porte un toast avec sa tasse de café, comme pour fêter l’évènement avec nous.
Ne sachant pas trop à quelle sauce je vais être mangée, je m’avance lentement jusqu’au comptoir.
— C’est quoi cette tête ? me rentre Franck directement dedans.
Je hausse les épaules.
— Niels, elle a besoin d’un café, ajoute-t-il.
— C’est la réunion d’hier qui t’a mise dans cet état ? tente de plaisanter Léo.
Au souvenir de Victor, mon estomac se retourne, j’évite de croiser le regard de Niels accoudé à la machine à café.
Niels dépose devant moi un grand mug de café filtre. La vue du liquide noir fumant m’enveloppe immédiatement d’un doux réconfort. Je le remercie. Je hume plusieurs fois le café avant de boire la première gorgée.
— Que s’est-il passé ? demande Léo en regardant tour à tour Franck et moi.
Je lève vers lui un visage fermé pour le renvoyer à son indiscrétion.
— Il s’est passé que les membres du jury n’ont pas mangé du clown, déclare Niels m’évitant ainsi de trouver une réponse. La barre est placée très haut.
— Le café concurrent est Ambroisie, annonce Franck.
Hélène et Léo ouvrent tous deux la bouche sans mot dire.
L’habitué près de l’entrée fait un signe à Léo qui part prendre sa commande. Franck fait signe à chacun de reprendre ses missions, ce n’est pas le moment opportun pour en parler. Hélène retourne débarrasser un petit déjeuner, Franck et Niels regagnent le cuisine.
Je m’installe au comptoir pour travailler. Je possède quelques livres qui pourraient me donner des idées pour une ambiance « Blues en hiver ». Etant partie en hâte ce matin, je les ais laissés chez moi. Ce sera Pinterest. Je sors mon ordinateur et passe la main dans le fond de la sacoche. J’ai laissé mon chargeur dans ma chambre, à côté du lit. Je soupire.
— Tu n’as vraiment pas l’air en forme, toi, me dit Léo en actionnant la machine a café.
Il pose son plateau et y dépose des soucoupes sorties du lave-vaisselle.
— Allez, à moi tu peux le dire. Il s’est passé quelque chose hier.
Son attention me donne du baume au cœur. Je saisis mon mug de café filtre des deux mains pour profiter de la chaleur qui en émane et je lui raconte en deux mots la façon dont retrouver Victor m’a déstabilisée.
— C’est ton ex ? s’exclame Léo.
Je regarde autour de nous. Hélène place les pâtisseries sorties du four dans la vitrine. Elle a la discrétion de faire comme si elle n’entendait pas.
— Tu n’as qu’à le dire plus fort, je marmonne.
— Pardon.
Je prends une gorgée de café et renverse quelques gouttes sur mon ordinateur en reposant la tasse.
— Mince.
Léo me tend un torchon. Je me hâte à absorber les tâches sans trop appuyer sur les touches.
— T’en fait pas, me rassure-t-il. On ne pas le laisser gagner ce prétentieux avec son café de péteux.
Je plonge le nez dans mon mug pour ne pas le laisser percevoir que la remarque me vexe. Il ne peut pas savoir et veut seulement bien faire. Je lui souris.
Cela encourage Léo à continuer sur sa lancée.
— Franchement, avec ce que tu vas préparer, il pourra aller se rhabiller.
En attendant, ce que je vais préparer dépend pour la journée de mon ordinateur sans chargeur, ce qui représente trois ou quatre heures d’autonomie tout au plus et de ma seule imagination.
Perdue dans mes pensées, je ne sens pas Léo s’approcher autant de moi.
— Courage princesse.
Il se penche et m’embrasse sur la joue, s’empresse d’attraper son plateau qui tremble légèrement laissant les tasses s’entrechoquer. Il le redresse vivement et file vers la salle.
Le contact duveteux de sa barbe me laisse un pincement au creux du ventre.
Un sourire fugace s’accroche à mes lèvres et je maintiens mes doigts serrés autour de la tasse.
Hélène dépose sa pince à pâtisserie dans l’évier, jette un coup d’œil amusé en direction de Léo. Elle verse du liquide vaisselle sur une éponge puis me regarde, un sourire malicieux étirant ses lèvres.
— Il t’aime bien.
Je relève la tête. Nerveuse de son intervention, je préfère faire comme si je n’avais rien remarqué.
— Je pense qu’il est comme ça avec tout le monde.
Elle croise les bras, d’un air qui n’y croit pas.
— Ah oui ?
La chaleur me monte aux joues. Je secoue la tête pour tenter de chasser l’embarras.
— On travaille ensemble. Tu sais comme moi que ce genre de choses peut devenir compliqué.
Je reste un instant songeuse et confirme.
— Ce n’est pas une bonne idée.
Hélène me regarde impassible, elle semblait avoir une réponse toute prête qui n’attendait que de sortir.
— Il suffit de savoir faire la part des choses. J’ai travaillé avec mon mari pendant vingt-cinq ans, je n’échangerais ces années pour rien au monde.
Elle essuie la pince avant de la ranger dans le pot à ustensiles.
— C’est agréable de pouvoir tout partager avec la personne que l’on aime.
Je baisse les yeux.
— Je ne vois les choses comme ça, Hélène. Ca donne aussi beaucoup à perdre.
— Je pense que Léo t’apprécie et même, que tu l’impressionnes. Vous avez beaucoup en commun. Parfois, Livia, on ne voit pas les choses jusqu’à ce qu’elles deviennent évidentes.
Et sans attendre de réponse, elle se dirige vers la cuisine. Je repense à la chanson Tu verras, tu verras, tout recommencera, tu verras tu verras. L’idée me plairait assez de recommencer une histoire d’amour.
Je chasse Léo de mes pensées et m’assois plus confortablement sur le tabouret. J’approche l’écran de mon ordinateur et tape dans la barre de recherche hiver bleu.
Mon ventre gargouille. Le Repaire est bondé. Je contemple l’aboutissement de mes recherches pour la matinée. Je m’étire vaguement et attrape un sandwich du jour dans la vitrine, Le Gourmet Nordique. Je parcours la liste des aliments qu’il contient Saumon gravlax maison, mariné à l’aneth, fromage frais, concombre et roquette. Très créatif.
L’agitation me monte à la tête. J’enfile mon manteau et part m’installer sur la terrasse extérieure à l’arrière du café. Je parcours les poèmes du recueil.
et puis tout doucement elle est sortie de son bocal.
Niels sort en pull et tablier, semble surpris de me voir déjeuner sur la terrasse. Il reste debout à regarder devant lui, clope et briquet.
Je me replonge dans ma lecture en croquant bout à bout des morceaux de sandwich. Je le vois un moment se tourner et poser un regard sur moi. Je m’extirpe de ma lecture.
— C’est vraiment bon, dis-je en désignant le sandwich. C’est toi qui l’a fait ?
— Oui.
Il expire une bouffée devant lui.
— C’est le recueil que tu lisais l’autre jour, dit-il.
Je soulève un peu le livre.
— C’est vraiment beau, dis-je en cherchant mes mots.
Je réfléchis en imaginant les vers et les sensations ressurgir comme un ressac.
— Ce que l’amour nous amène à faire ou à être. C’est écrit de manière déstructurée et … pittoresque, je termine par lâcher, riant de mon analyse.
Niels semble penser profondément à l’intérieur de lui.
— Qu’est ce que l’amour nous amène à faire ou à être ? demande-t-il.
Je me sens désarçonnée par sa question, en même temps elle m’amuse. Je feuillette le livre pour m’inspirer et je réponds en même temps que je pense.
— Je crois que ça nous amène à douter beaucoup. Lorsqu’on tombe amoureux, l’autre devient notre principale référence. S’il ne nous approuve pas ou qu’il risque de ne plus nous aimer, d’une certaine façon, on se sent en danger. Et si l’on cède toute la place à ce danger, on risque de se perdre soi.
Je lève la tête et souris. Il regarde droit devant.
— Tu dirigeais ce café, Ambroisie, avec Victor, n’est-ce pas ?
Je hoche la tête. Je me demande où il veut en venir.
— Nous étions associés.
— Je vois.
Il écrase son mégot dans le cendrier.
— C’est ce que tu voulais ? me demande-t-il.
— C’était mon rêve. J’avais imaginé le concept. Victor et moi avons réalisé les étapes ensemble. J’ai pris tous les risques et j’ai perdu mon rêve, mon conjoint … et mes certitudes.
— Tu n’as pas perdu ses convictions, déclare-t-il.
Une brise froide s’invite dans mon cou. Je frissonne et m’enveloppe davantage de mon manteau.
— C’est toujours ton rêve ?
— Quoi ? je demande.
— Diriger un café, c’est toujours ce que tu voudrais faire ?
— Oui, je réponds naturellement.
Je réfléchis à haute voix.
— Je voudrais de nouveau en avoir l’occasion. J’apprécie ce que je fais en ce moment et puis j’ai Givre et j’aime aussi avoir du temps pour moi. Mais je me connais, je sais que je vais m’ennuyer à la longue. Ce qui me plaît vraiment, c’est le défi.
— Je comprends tout à fait, répond Niels.
— Ah oui ?
— Oui.
J’ai envie de le remercier. Comme je ne sais pas pourquoi, je préfère ne rien dire.
Je vois par la vitre Léo m’adresser un signe de la main. Je repense à notre dernière interaction ce matin. Je lui adresse un imperceptible mouvement de tête.
— Livia, ajoute Niels comme s’il venait d’y penser. Parfois, des situations similaires peuvent aboutir à des conséquences différentes. Cela dépend de la manière dont on fait les choses.
Il regarde par la fenêtre de la cuisine, sort les mains de ses poches. La pause est terminée. Il vérifie à tâtons le nœud de son tablier, se retourne et pose la main sur la poignée. Il interrompt son geste.
— Tu murmures quand tu lis, me dit-il en me regardant les yeux.
Il ouvre la porte et rentre dans la cuisine.
Je rouvre mon livre, parcours quelques vers, mais mes pensées semblent données en pâture aux frasques du vent. Le froid m’engourdit. J’ai un mal fou à rester concentrée sur ce que je lis.
Je rentre me servir un café comme un rituel avant de me remettre au travail. Je m’installe à une table disponible et sors les dossiers des prochains évènements en cours.
— Je t’ai fait peur au point que tu es partie déjeuner dehors ?
Léo s’est posté devant ma table. Je regarde un instant mes fiches, recherchant la pensée qu’il a court-circuitée. Ne retrouvant pas le fil de ma pensée, j’abandonne pour l’instant. Mon regard se rive sur ses mains.
— Non Léo, je le rassure, ça n’a rien à voir avec toi, ne t’en fais pas.
— Tant mieux dit-il. Parce que je me disais, comme tu n’es pas au mieux de ta forme en ce moment, tu pourrais sortir un peu ? Avec des amis, on va boire un verre ce soir. Ca te changerait les idées.
Je pense à Givre seul dans mon appartement et j’hésite. Sous le regard appuyé de Léo, j’ai cependant envie d’accepter l’invitation.
— Bonne idée, oui. D’accord pour un verre.