Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #6

Chapitre 6 – Vestige

— Est-ce que ça va Livia ? souffle Niels.

Ma respiration s’accélère, mes membres s’engourdissent.

— Oui, ça va, je peine à articuler.

Je surveille Victor, dans son costume savamment négligé, redoutant le moment où il tombera sur moi.

Il tend un document à l’homme dégarni, ponctuant la discussion d’un rire contrôlé.

Il avance de quelques pas qui retentissent sur le parquet. Il pivote vers la table pour choisir une place, et nos yeux se rencontrent.

Je retrouve aussitôt le trouble d’être regardée par lui.

Je cligne des yeux, sens mes cils tapoter tout contre ma peau.

Paupières ouvertes. Paupières fermées. Paupières ouvertes.

Victor observe un temps d’arrêt. Il se redresse et sa bouche s’étire en un sourire éclatant.

— Mais c’est Livia !

Il contourne la table jusqu’à me rejoindre et ouvre grand ses bras pour me donner une chaleureuse accolade. Je me lève à peine et le salue en prenant l’air le plus professionnel.

— Je ne m’attendais pas à te voir ici. Mais tu as toujours été pleine de surprises, n’est ce pas ?

Décidée à me reprendre, je soutiens son regard appuyé sans répondre.

Niels s’avance, pose le plat de sa main entre mes omoplates. Je sens une onde de chaleur déferler le long de mon dos. Il tend son bras à Victor en se tenant derrière moi.

— Et je suis Niels Skov, le pâtissier du Repaire.

Niels prends soin de poser chacun de ses mots. Victor, le toise, affiche un sourire narquois avant de lui serrer la main.

— Je vois.

Je saisis à sa réserve que Victor vient de faire le lien entre Niels et le prix prestigieux. C’est sans doute pour ça que Niels a pris soin de mentionner son nom. Petit malin, me dis-je en l’observant en coin.

Niels, sa main toujours placée dans mon dos, me fait signe de nous rasseoir. Encouragée de trouver un allié, je redresse les épaules.

Victor me fait face et tire sa chaise voisine à la femme qui l’accompagne. Il pose son téléphone devant lui sur la table, puis il croise les bras et s’appuie lentement sur son dossier.

Le président prend la parole pour rappeler pourquoi nous sommes là.

— Après l’étude attentive des dossiers des établissements respectifs, le jury a décidé que la finale opposera le café-concert Ambroisie, au café-pâtisserie disposant depuis peu d’une proposition culturelle, Le Repaire.

— Nous avons choisi vos établissement notamment pour la qualité et le prestige de leur cuisine autant que pour la créativité dont leur concept et leurs propositions font preuve, ajoute son second.

Franck hoche la tête et gribouille quelques notes dans un carnet.

Victor, de plus en plus en arrière sur son siège, fait tourner son stylo entre ses doigts. Il se penche à l’oreille de sa collègue qui ricane en portant une main à sa bouche, puis il me regarde directement dans les yeux.

Je contiens mon agacement. Je ne veux pas donner à Victor de nouvelle occasion d’obtenir quoi que ce soit qui me tiendrait à cœur. Je me concentre sur les explications, déterminée à relever le défi du mieux que je le pourrai.

Le jury au complet, composé de six personnes, viendra visiter chacun des établissements pour noter notre présentation par rapport au cahier des charges, donnant lieu à une note sur cent points. Ambroisie voit sa visite programmée le 22 décembre, la nôtre se tiendra le 23. Nous avons donc un mois pour nous préparer.

— Que le meilleur gagne ! s’exclame le président de la commission.

Ces paroles annonçant la fin de l’entretien, je ferme mon cahier et le range dans ma sacoche. Sentant mes doigts fébriles, je pose mes mains moites sur mes cuisses et prend une lente inspiration. Niels se penche en avant et cherche mon regard. Il incline légèrement la tête dans ma direction. Je comprends.

Oui, ça va, je réponds sur mes lèvres, sans prononcer un son. Il me confirme d’un clignement d’yeux qu’il a reçu le message.

En arrivant dans la rue, il fait étonnamment bon. Je laisse mon manteau ouvert, profitant de la brise qui s’engouffre dedans. Franck, toujours à l’intérieur doit s’adonner aux salutations de courtoisie avec les membres du jury.

Niels, à deux pas de moi, sort de sa poche une cigarette et un briquet. Je voudrais savoir si la réunion lui a donné des idées de recettes. Je m’approche de lui. Une voix m’interpelle et me glace le sang.

— Livia, attend !

Je me retourne. Victor, presse le pas, sa collègue sur les talons.

— Tu comptais partir dans me dire au revoir, ce n’est pas très gentil.

Je serre les dents, tentant de ne rien laisser paraître J’ajuste la bandoulière de mon sac sur mon épaule et plante mon regard dans celui de Victor.

— Je pensais qu’on avait terminé, je déclare froidement.

Son sourire s’étire, parfaitement maîtrisé, presque charmant. Un petit pincement me tiraille au creux de la poitrine. J’inspire profondément.

— Tu pensais qu’on avait terminé ? répète-t-il railleur.

Sa collègue derrière lui m’adresse un sourire condescendant.

Je sens mes mains s’agiter nerveusement, je les place dans mes poches et redresse la tête.

— Si tu n’as rien de plus à dire, Victor, je dois vraiment y aller.

Il rit doucement et fait un pas de plus, réduisant l’espace entre nous.

— Toujours aussi pressée, Livia. C’est ce que j’aime chez toi, cette … énergie.

Il pose sa main sur mon bras par dessus mon manteau.

— Tu te souviens, Livia, quand on rêvait tous les deux d’arriver à ce niveau ? C’est fou comme les chemins peuvent diverger, n’est-ce pas ?

— Oui, et ça me convient, je réplique.

Il hausse un sourcil, faussement surpris.

— Oh, vraiment ? Alors pourquoi avais-tu l’air si tendue tout à l’heure ? Ne me dis pas que c’est à cause de moi.

Je sens la colère monter. Je sors les mains de mes poches et croise les bras.

Victor approche son visage du mien et baisse la voix :

— Moi non plus, tu ne me laisse toujours pas indifférent.

Mon souffle est coupé. J’ai envie de crier mais un poids s’es abattu sur ma poitrine. Ma gorge se noue. Je ne dois plus le laisse prendre l’ascendant sur moi.

Je sens Niels se tenir juste derrière, observe dans l’air la fumée qu’il expire. Sa présence me redonne l’aplomb de terminer l’échange. Je lâche d’une voix tranchante.

— Merci pour ta sollicitude, Victor. Je sais gérer la pression. Toi, en revanche, tu devrais peut-être te concentrer sur tes propres affaires.

Il recule légèrement, l’air surpris. Puis il se met en marche, ajustant son veston.

— À bientôt alors, dit-il simplement.

Il affiche un sourire ironique, et plonge un dernier instant son regard dans le mien. Un frisson me parcourt de haut en bas.

Victor fait signe à la femme derrière lui que c’est le moment d’y aller, puis tourne les talons.

Je reste figée quelques secondes, le cœur battant la chamade.

— C’était quoi ça ? demande Niels.

Je tourne la tête vers lui. Il approche le bout de sa cigarette de ses lèvres. Au dessus du col de son pull en laine, je remarque un grain de beauté accroché dans son cou. Niels interrompt son geste et nous échangeons un regard. Le creux de mon ventre commence à se réchauffer lentement.

— Un vestige du passé. Un vestige arrogant, je plaisante. Dis-moi, tu as une idée particulièrement brillante pour gagner cette finale ?

Niels passe la main dans ses cheveux et je crois qu’il esquisse un sourire.

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