Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #4

Chapitre 4 – Givre

Un enfant brandit une boule de Noël ornée de paillettes et de peinture dorée.

— J’ai terminé ! s’exclame-t-il.

— C’est magnifique, je réponds. Tu veux qu’on l’accroche tout de suite ?

Il hoche la tête. Je lui montre le mur orné de l’illustration du grand renne blanc que j’ai terminée juste après le déjeuner.

— On va aller la mettre là-bas.

Je l’accompagne jusqu’au mur bardé de bois. Il mache à côté de moi, tenant à deux mains sa création par le ruban. J’accroche la punaise à l’endroit qu’il m’indique.

— Tu as pensé à vœu que le renne blanc pourrait exhausser ?

Il acquiesce timidement.

— Super !

Le petit garçon regagne sa place, Léo arrivant en sens inverse m’accroche le bras.

— Alors comme ça, tu fais aussi des dessins de contes de fées ? plaisante-t-il.

Je croise les bras sur la poitrine et prend un air faussement indigné.

— T’as un problème avec les contes de fées ?

— Au contraire. Les contes de fées, c’est parfait pour toi. Tu fredonnes sans arrêt et tu es toujours de bonne humeur. Je parie qu’en réalité, tu es une princesse.

Je porte une main à mes cheveux et détourne le regard. Je m’apprête à rejoindre les participants de l’atelier, mais Léo me relance.

— Il a l’oreille un peu de travers ton renne, non ? Dit-il en le fixant d’un drôle d’air. Et pourquoi est-ce que tu lui as fait un œil cerclé de noir ?

— Je trouve que ça lui donne plus de personnalité, je réponds en souriant.

Je lui suggère, détachée :

— Si tu es si doué en critique artistique, tu devrais peut-être nous montrer tes talents.

— Ah, tu veux que je montre à tout le monde ce que c’est qu’un chef-d’œuvre ?

Léo s’assoit à l’atelier des boules de Noël et s’empare d’une boule vierge. Avec une concentration exagérée, il trempe un pinceau dans la peinture. Les clients échangent des regards amusés.

Léo trace en tremblotant un bonhomme de neige qui ressemble à un bonhomme bâton.

— Voilà ! s’exclame-t-il en brandissant fièrement sa création.

Quelques clients jettent un œil à l’œuvre de Léo.

— C’est… très expressif, je lui dis en tentant de garder mon sérieux.

— Je savais que tu comprendrais mon art.

— Maintenant, je poursuis, tu fais un vœu et tu vas l’accrocher.

Mais derrière le comptoir, Franck vient de repérer Léo assit dans le fauteuil, pinceau à la main. Il le sermonne gentiment du regard.

— Plus tard, répond Léo. Pour le moment, princesse, le devoir m’appelle.

J’aligne les tubes de peinture à paillettes sur l’étagère. Les pinceaux tintent lorsque je les déposent dans le bocal. Les derniers clients viennent de quitter le café. Je suis encore pleine d’énergie, je pourrais recommencer un atelier. Je jette un œil à la collection de boules accrochées. Je me demande quels peuvent être les vœux que les gens ont faits.

Je m’approche du comptoir où Franck, Hélène, Niels et Léo sont réunis autour de la carte du café. Leur conversation semble animée.

Lorsque j’arrive, Franck couvre la voix de Léo et Niels manifestement en plein débat.

— Alors cet atelier Boules de Noël ? demande-t-il en insistant joyeusement sur chacun de ses mots.

— Je pense que c’est un succès, dis-je en désignant le mur des créations. Certains en ont réalisé plusieurs pour en rapporter chez eux. C’était une bonne idée d’atelier.

Tous suivent mon regard en direction de Léo. Franck applaudit.

— Bravo Livia. Et merci Léo, même si ta place est au service, je te rappelle, et pas à dessiner des sapins sur des boules !

Il fait semblant de lui jeter un torchon au visage.

— D’un, c’était un bonhomme de neige, précise Léo, et de deux, il s’agit d’un chef-d’oeuvre.

— Je crois que la légende du renne blanc leur a plu, j’ajoute en adressant à regard à Niels, qui reste impassible.

. Franck me fait un signe de tête vers la carte du café, toujours ouverte sur le comptoir.

— Je t’avais dit Livia, que l’on reparlerait de tes idées d’évènement. Je pense que l’on peut partir sur le karaoké. Niels a été très inspirée par l’ambiance, comment tu l’appelles déjà ? Karaoké de glace, que tu as proposée. Je lui ai montré tes croquis pour la décoration. Il voudrait créer un nouveau dessert pour la carte du mois de décembre.

— En plus, la semaine prochaine, on aura certainement les premières neiges qui tiendront au sol. Je pense que ce sera magique ! dis-je sans contenir mon émerveillement.

— Sauf, réplique Léo, que ça laisse moins d’une semaine pour expérimenter un nouveau dessert, c’est peu de temps.

— J’y arriverai, affirme Niels.

Franck lève les mains, arbitrant l’échange.

— Ne nous emballons pas. On ne va pas refaire la carte entière ce soir. Mais un dessert à la une qui reprend le thème de Livia, ça me semble une bonne idée.

Il se tourne vers Niels.

— T’as une idée précise ?

Niels décroise les bras, calmement.

— Une mousse glacée au yuzu et au chocolat blanc, servie sur une base croustillante, avec un glaçage façon neige.

Léo ricane doucement.

— Ça a l’air sympa, mais t’as pensé à la logistique ? Une mousse glacée, avec le temps de service ici, c’est un coup à finir avec un dessert fondu avant même qu’il n’arrive sur la table.

— J’ai pensé à tout, rétorque Niels, les yeux légèrement plissés. Il faut imaginer une présentation en verrine individuelle, sortie au dernier moment. Si c’est bien organisé, ça fonctionne.

Franck hoche la tête, visiblement impressionné.

— On pourrait lui donner un nom comme Le dessert de glace, ou Givre de chocolat blanc ? je propose.

— Pourquoi pas.

Un léger sourire apparaît sur les lèvres de Niels, mais il reste concentré. Hélène, jusque-là silencieuse, s’étire et s’appuie contre le comptoir.

— Ça promet ! Je sens qu’on va encore être sur les nerfs toute la semaine pour que tout soit parfait.

— Les nerfs, peut-être, mais ce sera amusant, répond Léo en se tournant vers elle avec son éternel sourire joueur. Et en parlant de fun, qu’est-ce que vous diriez de prolonger cette soirée ?

— J’avais demandé à ma fille de passer me chercher, réponds Hélène.

Léo pose un coude sur le comptoir et balance son torchon sur l’épaule.

— Elle n’a qu’à venir, on va mettre un peu de musique, boire un verre ou deux, elle devrait s’y retrouver !

Franck secoue la tête en souriant.

— Vous n’avez pas assez bossé aujourd’hui ?

— Raison de plus, répond Léo avec un clin d’œil.

Il balaye la salle du regard, cherchant des alliés.

— Allez, avouez que ça vous tente.

Hélène cède devant l’enthousiasme de Léo.

— Pourquoi pas, je suis partante.

Léo pivote vers moi, m’adressant un regard pétillant de malice.

— Et toi ? Ça te dirait de chanter un peu ? On pourrait tester le Karaoké de glace en avant-première.

J’éclate de rire.

— Oui, ça marche !

Léo frappe dans ses mains. Il se tourne vers Niels, qui range toujours silencieusement des verres derrière le comptoir.

— Et toi, l’homme de glace, prêt à nous impressionner ?

Niels lève un sourcil sans se retourner.

— Chanter, sans façon. Mais je resterai pour observer la scène.

— Parfait. Tu pourras être notre jury, décrète Léo.

— Je vais faire jury avec Niels, dit Hélène. Deux avis me semblent nécessaires pour garantir l’impartialité.

Elle se dirige vers la porte d’entrée du café.

— Voilà Vanessa !

— Viens, me dit Léo en m’entraînant avec lui, je vais te montrer comment installer le matériel.

Je m’apprête à rétorquer que je connais un peu le domaine du son, mais je choisis de me retenir. Ce n’est pas très important.

Léo sort une guitare de son étui.

— Tu sais jouer ? je lui demande.

— Je ne suis pas un grand musicien, répond-il. Mais j’ai toujours ma guitare avec moi.

— Tu n’es ni un grand musicien, ni un grand chanteur alors, plaisante Vanessa. J’ai rarement entendu quelqu’un autant massacrer un Jonnhy Hallyday, alors que je suis une habituée des karaokés.

Hélène rit et propose que l’on se resserve un verre.

— C’est un exutoire, paraît-il, le karoké.

— Pour Léo, on dirait que c’est particulièrement vrai, pouffe Vanessa.

— Tu as une jolie voix, toi, lui dis-je. Tu as pris des cours de chant ?

— Merci mais non, jamais. Moi aussi je joue un peu de guitare.

— Tu nous joues quelque chose ? je réclame, mais je vois qu’elle rougit.

— Non, je ne crois pas. Je n’ai pas l’habitude de jouer devant des gens.

— Alors Léo va commencer, déclare Franck. Pas vrai, Léo ?

Léo entonne l’introduction d’un classique de rock et tout le monde se met à taper des mains. Il peine un peu sur certains accords, et en rajoute pour montrer à quel point il est en difficulté.

Lorsqu’il a terminé, un tonnerre d’applaudissements retentit. Léo tire la langue et fait mine de s’essuyer le front.

— Ouf !

— Une autre, une autre, s’écrient Frank et Hélène.

A ma gauche, Niels attentif, suit le one man show de Léo.

— J’en ai une autre, annonce Léo, soudain avec sérieux.

Il m’adresse un regard appuyé et commence à jouer. Je ne reconnais pas les premiers accord. Il se met à chanter d’une voix fluide.

Ah, tu verras, tu verras
Tout recommencera, tu verras, tu verras
L´amour c´est fait pour ça, tu verras, tu verras

Tout mon corps se raidit. Léo est concentré sur son morceau, je suis ses doigts se déplacer, gratter les cordes. Quelques mèches blondes retombent sur son front quand il agite la tête.

Il fait chaud dans le café. Je tire sur mes manches consciente de chacun de mes mouvements. Les autres restent immobiles sous les couplets de la chanson.

Et je m´endormirai, tu verras, tu verras
Le devoir accompli, couché tout contre toi
Avec dans mes greniers, mes caves et mes toits
Tous les rêves du monde

N’osant pas le regarder, je détourne la tête.

A ma gauche, Niels m’observe du coin de l’œil puis se lève lentement et se dirige vers le comptoir.

La chanson de Léo se termine. Un silence s’installe trop longtemps.

Vanessa le rompt, la première en applaudissant.

— A toi, ma chérie, insiste Hélène. Joue une chanson que tu connais bien !

Vanessa accepte de prendre la guitare et l’installe sur ses genoux. Elle fait sonner quelques accords.

Franck s’installe à côté de moi sur le canapé.

— A la tienne Livia, me dit-il en penchant son verre, à tes futurs évènements !

— Oui, merci Franck, je lui retourne en riant. J’ai déjà hâte d’être au prochain.

Nos verres s’entrechoquent.

— On voit que tu es dans ton élément. Tu es passionnée et pleine d’idées. C’est super de vous voir comme ça, vous les jeunes, plein d’envies, plein de talent !

Il porte son verre à ses lèvres et boit à grandes gorgées. Vanessa, s’arrête au milieu de sa chanson et commence à discuter avec Léo, la guitare toujours sur les genoux.

— C’est ça que je voulais, en ouvrant ce café. Tout le monde est sympa ici. C’est comme une grande famille.

Il se perd un moment dans ses pensées, puis reprend.

— Ce petit là, dit-il en désignant Léo avec son verre, c’est un bon gars. T’as besoin de reprendre confiance en toi Livia, c’est un gars comme ça qu’il te faut.

Je m’apprête à l’interrompre, cherchant un prétexte poli pour m’éclipser, mais il se rapproche de moi et poursuit.

— Il saura prendre soin de toi.

Je ne sais pas quoi lui dire alors je hoche la tête. Je le regrette aussitôt.

Franck termine son verre d’une lampée. Je me lève en proposant d’aller chercher une autre bouteille. Je traverse la salle en regardant Léo, par dessus mon épaule. Il rit fort avec Hélène et Vanessa.

Je contourne le comptoir et trouve Niels accroupi devant le frigo.

— Tu venais chercher à boire ? me demande-t-il. C’est la dernière.

Il me tend une bouteille de rosé. Je la saisis et la pose pour retirer le bouchon.

Niels me regarde faire, jusqu’à ce que la bouteille soit ouverte.

— C’est bien que tu prennes les rennes des évènements ici, ils en avaient besoin.

Je murmure merci, je ne suis pas sûre d’avoir été audible.

— Tu as de bonnes idées et tu passes très bien avec les clients. Tu dois faire ça depuis des années.

— J’ai eu un café, avant.

Il attrape son menton et me demande, direct :

— Et qu’est-ce qui t’a fait arrêter ?

Je ne peux m’empêcher de lâcher un soupire. Je lève les yeux vers Niels, lui signifiant que ça m’a échappé.

— Ca ne s’est pas très bien terminé … suggère-t-il.

— Disons que j’ai fait une erreur en faisant confiance à la mauvaise personne.

Je lui adresse un sourire sincère. Niels hoche la tête, m’emboîte le pas et me fait signe de rejoindre les collègues. Je le suis, la bouteille de rosé à la main.

— C’est la dernière, annonce-t-il, suivi des huées des membres du groupe. Après, on va se coucher !

— Y’en a qui travaillent demain, grommèle Franck avec humour.

J’éteins les phares et les essuie-glace et retire la clé du contact. Je descends de ma voiture saisit par le froid. Je croise les bras pour m’emmitoufler dans mon manteau. La buée sort de ma bouche à chaque respiration. Je presse le pas, impatiente de me blottir dans une épaisse couverture, ou de prendre une douche. L’averse vient de se terminer, des gouttes régulières perlent des toitures et l’eau ruissèle encore des gouttières.

Je traverse la rue, passe un croisement. Mes bottes martèlent les pavés du trottoir. Un bruit de métal retentit soudain derrière moi. Je me retourne vivement. Quelque chose de gros et lourd roule un moment au sol. Sans doute une poubelle renversée. Un cliquetis résonne sur les pavés de la rue, puis une respiration saccadée.

Je m’avance jusqu’au croisement et regarde dans la ruelle. Je sors mon téléphone et allume la lampe de poche pour voir jusqu’au fond.

Un petit chiot apparaît sous le halo de lumière. Ouvre deux grands yeux tétanisés. Son pelage blanc, grisé par la crasse, est entièrement mouillé. Il grelotte.

Le plus délicatement possible, je fais les pas qui me séparent de lui et m’accroupis. Je tends une main pour le rassurer.

Le chiot tente de se faire encore plus petit qu’il ne l’est et baisse la tête tout près du sol. Il penche un peu la tête. L’un de ses yeux est entouré d’une tâche noire.

— Ca va aller, je murmure. Ca va aller. Où es ta maison ?

En remuant la lampe de poche, je remarque qu’une corde attachée autour du coup du chiot le relie à la poignée d’une lourde poubelle.

— Oh non, je m’écrie en portant une main à ma bouche. Mais qui t’a fait ça ?

Je pose mon téléphone sur mes genoux pour éclairer la scène et retire mon gant. Je dénoue la corde et ouvre mes bras. Le petit corgi, apeuré, se laisse prendre sans un geste, ni un son.

Je rentre chez moi sur la pointe des pieds et murmure pour ne pas l’effrayer.

— Là, tu n’as rien à craindre. Je vais m’occuper de toi.

Le chiot toujours dans les bras, j’ouvre d’une main le placard de la salle de bain et attrape à tâtons une serviette et un gant. Je remplis une bassine avec la pomme de douche. Le chien, voyant sortir le jet, sursaute et tente de d’enfouir sa tête sous mon coude. Je m’assois en tailleurs et le dépose au creux de mes jambes. Je mouille le gant dans la bassine, l’essore. Le chien laisse échapper un jappement feutré, puis se tait. Je le lave doucement en fredonnant Toute la pluie tombe sur moi.

Une fois sec, il a cessé de trembler. Je le laisse à terre et me dirige tranquillement vers là cuisine. Je trouve un steak haché dans mon frigo, frais de la veille. Je le sors du papier d’emballage et le dépose dans la poêle.

En attendant qu’il cuise, je retourne à l’entrée de la salle de bain.

— Coucou toi, coucou.

Le chiot ouvre de grands yeux silencieux.

— Est-ce que tu veux manger un morceau ?

Je lui fais signe de me suivre et je m’éloigne sans le quitter du regard jusqu’à ce qu’il sorte de mon champ de vision.

Je retourne à la poêle et tourne le steak haché.

Un petit pas discret s’avance sur le parquet. Dans l’embrasure de la porte dépasse un petit museau.

— Tu as faim, lui dis-je enjouée. Viens.

Je dépose le steak dans une assiette, que je dépose par terre. Je m’assois à côté.

— Viens, je répète. Allez viens !

Le chien avance sa tête, puis s’approche prudemment. Il renifle de loin, fait encore quelques pas.

— Tu y es presque, je l’encourage. Tu vas voir, c’est bon.

Il s’approche de l’assiette et commence à laper la viande de deux coups de langue avant de l’engloutir en trois bouchées.

Je m’exclame à voix basse.

— Tu avais drôlement faim !

Je gagne la chambre et enfile mon pyjama. Le chiot, me rejoins timidement, une patte après l’autre.

— Tu es le bienvenue ici, petit chien.

Le chien ne se le fait pas répéter. Il bondit sur la couverture et me regarde à nouveaux de ses yeux clairs, immenses. Je m’allonge auprès de lui.

— Comment tu veux t’appeler ?

Je rabat doucement la couette et pose ma tête sur l’oreiller. Je pense à la soirée au café, au Karaoké de glace que je suis impatience d’organiser, agrémenté de desserts au chocolat blanc, à la légende du renne avec son œil entouré de noir.

— Givre.

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