Roman de l'avent

Le repaire de glace – Chapitre #3

Chapitre 3 – Engourdie

J’arrive d’un bon pas devant le café Franck, clé en main, ouvre la porte.

— Bonjour Livia, entonne-t-il, tu es là tôt !

— Je voulais travailler au calme avant l’arrivée des clients.

Je pose ma sacoche sur un canapé.

— Tu sais, tu peux prendre mon bureau, si tu veux ! Tu serais plus tranquille.

Je commence à déballer mes affaires.

— Je préfère travailler dans le café, qui plus est maintenant qu’il est si bien décoré !

— Tu fais comme tu le sens.

Franck, toujours en manteau et ses clés à la main avance derrière le comptoir et tapote sur la caisse enregistreuse. Du regard j’aperçois que la feuille de mes suggestions d’évènements n’est plus sur le comptoir.

— Franck, je l’interpelle. Qu’est ce que tu penses de mes propositions d’évènements pour décembre ?

Il s’interrompt et me regarde un moment.

— Je trouve ça ambitieux Livia.

J’accuse un bond dans ma poitrine et replace une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille pour me donner une contenance.

— Mais franchement ça me plaît ! Je pense juste qu’il faut y aller doucement. Si tu en fais deux ou trois d’ici janvier, vraiment, c’est bien.

Il se focalise de nouveau sur la caisse enregistreuse.

Je m’installe dans le canapé et l’entends passer derrière moi.

— On en reparle tout à l’heure, je dois aller faire une course avant l’ouverture. J’en ai pour vingt minutes.

Il sort son téléphone, consulte l’écran puis le remets dans sa poche.

— A tout à l’heure. Tu peux te faire un café !

Il fait tourner ses clés autour de ses doigts et sort.

J’observe le café, désert, il semble dormir encore. Les guirlandes lumineuses lui donnent un charme féérique. Je me lève et m’approche de la machine à café pour me servir une tasse. Le grain se concasse à l’intérieur, quelques effluves viennent me chatouiller les narines.

Je lance sur les enceintes une musique jazz de Noël. Les notes s’échappent et remplissent la salle. Une ambiance paisible et joyeuse envahit l’espace comme si la chanson venait se déposer sur les fauteuils, les tapis. J’attrape ma tasse pleine.

Sur la route jusqu’à ma place, je bascule en rythme d’un pied sur l’autre et me mets à tourner. Quand le refrain commence, comme je le connais, je fredonne en continuant de danser.

Niels débarque à ce moment-là.

Je m’apprête à éclater de rire mais son sourire tout en retenue me laisse sur ma réserve.

— Salut, me dit-il.

— Salut.

— Tu es déjà là, constate-t-il.

Sa voix feutrée et grave me fait penser au son du violoncelle. Je détaille ses cheveux légèrement en bataille, ses yeux profonds et sa tenue sobre qui lui donnent aussi l’élégance de l’instrument. Il lève un sourcil légèrement interrogateur. Je lui désigne l’endroit où je suis installée.

— J’allais m’y mettre.

— Oui, répond-il simplement, l’air amusé.

Je sors mon dossier concernant un projet d’aménagement du café. Il va falloir déplacer certains meubles pour installer une table et des casiers dédiés aux ateliers. J’ouvre mon ordinateur et le place sur mes genoux. Je voudrais trouver quelques images qui pourraient me donner des idées de rangement du matériel que les clients pourraient utiliser sans que cela ne gène le service habituel. Les meubles à roulettes me semblent être une bonne idée.

Léo arrive et s’empresse de m’aborder.

— Salut toi, me dit-il en m’embrassant sur les deux joues.

Il s’installe sur le bord du canapé, je déplace mon ordinateur à côté de moi.

— Qu’est ce que tu fais ?

Je lui montre quelques photos qui m’inspirent et qui se marieraient avec l’ambiance du café. Il a l’air conquis.

Il regarde à l’extérieur, Franck est de retour avec Hélène en même temps que les premiers clients.

— Je file Livia, une nouvelle journée commence ! s’exclame-t-il enjoué.

Je sors mon téléphone pour appeler une enseigne qui pourrait me fournir un devis. Je reprends l’ordinateur pour consulter la référence et compose le numéro du magasin de meubles.

— Bonjour, je vous appelle pour établir un devis, s’il vous plaît.

La femme me demande les informations dont elle a besoin.

Je lui donne la dénomination, la référence, le nom et les coordonnées du café. Je dicte l’adresse email lorsque du coin de l’œil, un homme qui entre dans le café attire mon attention. Sa silhouette m’interpelle. Il porte un bonnet et une veste en jean épaisse qui me sont familiers. Je le suis du regard quand il se dirige jusqu’au comptoir, guettant le moment où il se retournera. Il commande, toujours dos à moi. Je prends une grande respiration pour chasser mon présentiment.

La femme au téléphone me précise que mon devis est valable un mois et qu’elle vient de me l’envoyer sur ma boîte mail. Je lui souhaite une bonne journée et raccroche en regardant derrière moi.

L’homme au bonnet est toujours au comptoir, il règle sa commande. Léo lui fait signe d’aller s’asseoir de son air chaleureux. L’homme se retourne. Un frisson me parcours. Je me rue sur mon écran d’ordinateur en prenant bien soin de me tourner complètement.

Il s’installe à quelques tables de moi. Je laisse mes cheveux tomber en rideau le long de mon visage comme pour me cacher. Il me semble impossible qu’il passe ne serait-ce qu’un quart d’heure ici sans regarder vers moi et me reconnaître.

Léo apporte un plateau contenant une formule petit déjeuner. Je le suis du coin de l’œil. L’homme relève alors la tête et croise mon regard.

— Mais c’est Livia ! s’exclame-t-il avec entrain.

Il relève le menton vers Léo qui hésite à déposer la commande à sa table.

— Tu connais Livia ?

— Bien sûr, que je connais Livia, lui répond Antonin, comme si cela allait de soi.

Léo prend finalement le parti de servir Antonin. Lui, retire son bonnet, lisse sa barbe et se dirige vers moi.

— Comment vas-tu ? Tu es rayonnante ! enchaîne-t-il sans attendre ma réponse.

— Bien, je te remercie.

Il s’assoit sur le bord du fauteuil, et croise les mains sur ses genoux.

— Quoi de neuf ?

— Tu vois, lui-dis-je, je travaille ici.

— Tu travailles ici ? répète-t-il.

— Oui, répond Léo qui n’a pas perdu un mot de notre échange, elle monte des super projets pour animer le café.

— Je n’en doute pas, assure Antonin.

Un silence embarrassant laisse entendre une chanson de Noël. Léo, voyant entrer des clients, va à leur rencontre, le plateau toujours en main.

Antonin rapproche son fauteuil.

— Toujours dans la restauration, alors ?

— Comme tu vois.

Je parcours mon dossier des yeux, souhaitant lui signifier que je suis occupée.

— Victor m’avait dit que tu étais passé à autre chose, après …

Je sens mes joues s’enflammer, me retenant de lever les yeux vers lui.

— Si tu veux savoir, son établissement cartonne ces derniers temps. C’est fou ce qu’il a accompli depuis que vos chemins se sont séparés !

Je pince les lèvres et serre les doigts autour de mon stylo. Léo surgit de la réserve, une pile de tasses dans les bras.

— Hé, Liv’, j’ai trouvé les tasses avec les étoiles dont je t’avais parlées.

Il pose les tasses sur le comptoir, ignorant Antonin.

— Parfait pour la soirée stellaire, pas vrai ?

— Oui, je réponds, jouant l’enthousiasme.

Je me lève et accours pour le rejoindre.

Antonin hausse un sourcil en regardant Léo, puis se tourna de nouveau vers moi.

— Eh bien, je ne vais pas te déranger plus longtemps. Je passerai ton bonjour à Victor.

Je l’ignore et en vérifiant discrètement qu’il regagne sa table. Je saisis une tasse et contemple les motifs en sentant mon cœur tambouriner dans ma poitrine.

— Comment vous vous connaissez ? demanda Léo, inclinant légèrement la tête. Vous êtes amis ?

— Pas vraiment.

Je lui adresse un sourire crispé, Léo me regarde un moment et pose sa main sur mon bras.

— Je peux t’aider ?

Je souris en reposant la tasse sur le comptoir.

— En fait … nous savons tous les deux qu’il n’a jamais été question d’une soirée stellaire, n’est-ce pas ?

Complice, il me rend mon sourire. Une chaleur réconfortante s’installe dans ma poitrine.

Je regagne mon espace de travail en évitant soigneusement de regarder du côté d’Antonin. Celui-ci ne demande pas son reste. Son café terminé, il quitte Le Repaire en adressant un signe de main à la cantonade.

— A bientôt tout le monde.

Je ne lui répond pas. Je sors un surligneur de ma trousse et parcours la liste de tâches à effectuer dans la semaine.

— Chaud devant, plaisante Léo en déposant devant moi une grande tasse de chocolat chaud avant de repartir comme il était venu.

J’entre dans la cuisine, mes pinceaux à la main. J’ouvre le robinet et les rince soigneusement. La peinture rouge s’accroche aux poils du pinceau, puis à mes doigts. J’ai hâte que les clients découvrent l’atelier des Boules de Noël cet après-midi. Je suis enchantée des deux prototypes que j’ai réalisés. Il y a forcément des clients qui apprécieront autant que moi. Je suis de plus en plus emballée par l’idée de Léo.

Les baffles diffusent quelques accord nus de piano, je me fige et repense immédiatement à la présence d’Antonin, les mains croisées à me provoquer ouvertement ce matin au sujet de Victor.

Comment peux-tu lire en moi comme dans un livre ouvert ?
Te menant au plus profond de moi
Où je suis devenue si engourdie

Je regarde l’eau couler et emporter dans le siphon les restes de peinture rouge. Je souris pour moi-même.

Mon esprit dort dans un endroit froid
Jusqu’à ce que tu le trouves là-bas
Et le ramènes à la maison

Niels surgit derrière moi avec une pile de torchons. Je comprends qu’il doit les ranger dans le placard devant lequel je me trouve. Je secoue les pinceaux et les dépose sur le bord de l’évier. Il ne bouge pas et me regarde pensif.

— C’était votre chanson, pas vrai ?

— Quoi ?

— La chanson, il lève les yeux vers le haut pour évoquer les enceintes. C’est une chanson que tu associes à un moment ou à quelqu’un.

Je regarde autour de moi pour chercher une issue.

— Tu as le regard de quelqu’un qui hésite entre sourire et pleurer, dit-il calmement.

Je me décale un peu plus du meuble, d’un pas hésitant.

Il range les torchons et s’apprête à sortir de la cuisine.

— Merci, lui dis-je.

Niels se retourne le plus naturellement du monde, laisse passer un instant sans dire un mot. On entend toujours la musique mais elle me semble loin, je ne perçois plus les paroles.

— De rien.

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