Le repaire de glace – Chapitre #1
Chapitre 1 – Un peu plus près des étoiles
Je referme mon carnet et fait claquer mon stylo sur le comptoir.
Un grésillement retentit et une musique jazz sort des enceintes. Léo s’avance, ses talons résonnent sur le plancher du bar.
– Tout est prêt, Liv ?
– Oui, je murmure en regardant en direction de la porte. Je ne t’ai pas vu entrer.
Il éclate de rire, s’avance pour me saluer. Sa jeune barbe effleure chacune de mes joues. Il monte l’estrade derrière le comptoir.
– Un café ?
– Allongé, s’il te plaît.
La machine vrombit, j’attrape machinalement un prospectus sur le haut de la pile posée sur le bar et le fait jouer entre mes doigts. Léo dépose devant moi une tasse et cherche mes yeux des siens.
– Ne t’en fais pas, ça va bien se passer.
Je souris poliment.
Par la fenêtre, les bourrasques hasardeuses emportent quelques flocons. Elles semblent les balayer du paysage. Il reste les trottoirs gris et la route, grise. Petite, je me demandais pourquoi l’on ne pouvait pas peindre les murs des maisons, les toits et la rue en rose ou en bleu. Je savoure mon café en m’enfouissant dans mon pull. Je laisse les notes de jazz se balader en imaginant que le ballet de flocons danse en l’entendant aussi.
La porte d’entrée claque bruyamment. Je laisse tomber ma tasse. La marre de café gagne les prospectus que j’écarte rapidement. Franck et Niels viennent de pénétrer dans le bar et barrent le passage à la petite tempête de l’extérieure.
– Bon sang, quel vent ! s’exclame Franck en retirant son manteau.
– Besoin d’un sauveur ? demande Léo à mon intention.
Je retourne mon attention vers la tasse de café.
– Tu veux un coup de main ? ajoute-t-il.
– Ca va, dis-je en soulevant les prospectus. Ils n’ont presque rien.
– Ca n’est pas grâce à toi, raille-t-il.
– Qu’est ce qui se passe ? Demande Franck en s’approchant.
Il m’embrasse sur chaque joue, Niels à sa suite fait de même.
Léo dépose sa tasse, me rejoint de mon côté du comptoir et m’attrape la pile des mains.
– Liv fait prendre un bain aux prospectus du concert.
– Il ne manquait plus que ça, tonitrue Franck de sa voix caverneuse.
Tandis que Léo me prend des mains le torchon que j’avais trouvé, Franck lance un tablier à Niels qui ne demande pas son reste, se passe une main dans les cheveux avant de détourner le regard et de filer en cuisine.
– Tu as tout ce dont tu as besoin pour ce soir ? me demande Franck.
Je hoche la tête et saisit mon carnet. Franck reste debout tandis que je lui montre la page de la liste de tâches.
– Les musiciens arrivent à quinze heures pour les balances. Ils m’ont demandé si on avait une loge. Je pense qu’on peut leur proposer le petit bureau, qu’est ce que tu en dis ?
– C’est la reine d’Angleterre tes copains, plaisante Franck d’une voix bourrue.
Léo s’esclaffe. Je prends sa plaisanterie pour un oui.
– J’aurais aussi besoin d’une multiprise s’il te plaît, et, as-tu un escabeau pour accrocher la nouvelle bannière s’il te plaît ? Je ne sais pas si j’aurai le temps cet après-midi d’installer toutes les décorations de Noël, mais la bannière au moins, je peux.
– Dans la remise, grogne-t-il en enfilant son tablier. Mais remets bien tout en place après, sinon, si on a un inspecteur du travail, il ne va pas être content.
La porte d’entrée claque de nouveau. Une silhouette encapuchonnée s’avance et essuie ses pieds sur le paillasson.
Franck passe sa tête depuis la cuisine et clame :
– C’est à cette heure-là qu’on arrive !
La femme s’avance tranquillement en tirant sur les manches de son manteau. Elle pose son sac à main sur une chaise de bar.
– Une camionnette m’a fait une queue de poisson. J’ai du m’arrêter pour faire un constat.
– Mince, dit Léo. Ca va ta voiture ?
Elle hoche la tête et se dirige vers moi.
– Bonjour ! Excuse-moi, je ne me souviens plus de ton prénom.
– Livia.
– Ah oui. Ca va depuis lundi ?
– Oui, très bien !
Elle semble satisfaite et se tourne vers le bar. Je la retiens.
– Et toi, je ne me souviens plus non plus. Pardon. Comment tu t’appelles ?
– Hélène.
Hélène rejoint Léo derrière le comptoir et attrape un torchon pour l’aider à essuyer les verres.
J’entre dans la cuisine à la recherche de Franck.
Des étagères arborent pêle-mêle des ustensiles dont j’ignore la fonction. Une odeur de friture me monte au nez tandis que je m’approche des fourneaux. Franck lave de la salade dans une grand bassine.
Niels, de dos dans un coin, coupe des pommes de terre sur une grande planche à découper. Ses gestes sont précis et réguliers. On pourrait presque l’entendre respirer entre deux coups de couteaux contre le bois.
Il se tourne légèrement vers moi, nous échangeons un regard. Ses yeux sont tellement noirs que dans l’ombre de la cuisine, je ne distingue pas ses pupilles.
– Oui, Livia ? m’interroge Franck.
Niels se retourne vers sa planche et reprend ses découpes méthodiques.
– Dis-moi Franck, je souhaiterais installer un panneau pour recueillir les idées d’évènements. Je voudrais en profiter, après le concert, pour leur demander ce qu’ils voudraient trouver ici.
Il ne lève pas la tête.
– Pas de problème, Livia.
Adam et Stella arrivent à l’heure avec leur étui sur le dos.
– Je suis contente de vous voir !
– Nous aussi, Livia, dit Adam. Merci de nous avoir invités.
– De rien, c’est ma première ici.
– Oui, confirme Stella. Je suis d’autant plus flattée que tu ais fait appel à nous.
Je leur montre où installer leurs guitares.
– Pour vous brancher, c’est ici. Et le son c’est ici.
– Parfait, s’emballe Stella, il y a tout ce qu’il faut, ça va aller vite.
Elle tire discrètement la manche d’Adam. Je l’interroge du regard.
– Elle veut profiter du temps que nous avons avant le concert pour aller faire un tour au musée des chats. Nous n’avons pas souvent l’occasion de venir jouer dans le coin, alors ce sera notre cadeau pour nos trois ans de relation.
– Je vois ! C’est une bonne idée, il paraît qu’il est super.
– Tu n’y es jamais allée ?
Je secoue la tête et leur propose une boisson pour accompagner leur installation.
– On vous l’offre, je précise.
– Avec plaisir, tu es au top !
Je me hâte de commander à Léo un thé et un café au lait et attends la commande.
– Quel bordel ! plaisante Franck en les regardant déballer.
Léo pose sur le comptoir une tasse de café clair, une tasse d’eau chaude et une théière.
– Quel parfum ? clame-t-il.
Je regarde Adam, occupé à mettre de l’ordre dans ses partitions. Je m’approche de lui.
– C’est prêt, je leur annonce. Adam, quel parfum pour le thé ?
– Tu as menthe ?
– Bien sûr.
Le duo nous rejoint. Chacun tire un tabouret de bar et s’installe. Je présente mes amis à Franck, Hélène et Léo.
– Enchanté, répond Stella.
– Depuis quand tu travailles ici, toi, dis-moi ? demande Adam.
– J’ai commencé lundi.
– Elle va nous mettre un peu d’animation là-dedans, complète Franck. Et nous amener ici des gens bienveillants.
– C’est vous le patron ? demande Stella.
Franck acquiesce.
Hélène explique que les prix haussent mais qu’ils souhaitent répercuter l’augmentation le moins possible sur les consommations. Faire venir des clients grâce à des évènements pourrait relancer la fréquentation et, qui plus est faire gagner le café en convivialité.
– Vous avez fait une bonne affaire, alors ! assure Stella.
Niels sort de la cuisine et pose un plateau sur le comptoir.
– Et voici Niels, dis-je à l’attention d’Adam et Stella pour terminer les présentation.
Adam lui tend la main et Stella adresse un signe de la tête. Niels serre la main d’Adam puis retourne vers la cuisine, le dos légèrement courbé.
– C’est un ours, dit Léo, goguenard.
Franck écarte les bras et imite le grognement d’un ours. Puis ils éclatent de rire tous les deux.
Adam et Stella se lèvent et enfilent leur blouson.
– A tout à l’heure !
– Oui, bon musée des chats !
Je m’empare des tasses vides.
– Laisse, m’ordonne Léo avec un clin d’œil. Ca n’est pas ton travail.
Il fait déjà chaud dans la salle presque pleine. C’est drôle de voir le café bondé alors qu’il fait nuit. Notre premier évènement, notre première soirée. Je m’amuse de penser au refrain de Nuit de folie. Je piétine dans mes Santiag, hésite et finalement, me décide à frapper à la porte du petit bureau.
– Stella, Adam, vous êtes prêts ?
– Oui, oui, répondent-ils ensemble.
– Entre, ajoute Stella.
Je passe la tête par l’embrasure de la porte. Des vêtements jonchent le sol, le bureau, la chaise et l’imprimante.
– Il y a du monde ?
Je murmure.
– Plus que ce que l’on imaginait.
– C’est chouette, s’écrie Stella.
– Je vais aller vous présenter au public.
Je prends une inspiration et gagne la scène. Je circule entre les câbles, allume la table de mixage et saisis le micro.
– Bonsoir à tous et à toutes.
J’ajuste le bas de ma robe, prends mon courage à deux mains et relève la tête.
– Je m’appelle Livia, je suis ravie d’avoir rejoint l’équipe du café Le Repaire. Je suis enchantée de vous rencontrer et je me réjouis déjà de tous les bons moments que nous allons passer ensemble. Pour notre première soirée, j’ai choisi de vous présenter le groupe Un peu plus près des étoiles. En ces périodes de fêtes, on est partagés parfois entre l’euphorie et l’intensité, l’anxiété et la charge de tout ce qu’il faut préparer, parfois, certains se sentent seuls aussi. On peut avoir l’impression que les autres sont plus entourés que nous, réussissent mieux que nous par rapport à ce que l’on en voit. Adam et Stella savent apporter beaucoup de douceur et de réconfort, j’espère qu’il pourront vous rappeler, autant qu’à moi, qu’il fait bon simplement d’être soi-même, même lorsque nous ne savons pas toujours très bien où nous allons ou ce que nous faisons. Je vous souhaite une bonne soirée et je vous propose d’accueillir chaleureusement Un peu plus près des étoiles !
Quelques applaudissements timides s’échappent des tables pleines.
Adam et Stella sortent de leur loge vêtus de noirs et de paillettes. Adam prend le micro.
– Merci Livia. Merci pour ton accueil. Nous sommes Un peu plus près des étoiles et nous sommes ravis d’être avec vous, ce soir !
Les frappements de mains résonnent un peu plus fort. Léo, dans son élément, navigue entre les tables. Stella entonne une reprise de La groupie du pianiste. Je m’installe au bar, sur le côté.
Léo arrive en bourrasque, dépose des verres vides sur le comptoir. Il passe derrière moi et penche sa tête près de mon oreille.
– Tu veux boire quelque chose ?
– Oui, pourquoi pas.
– Je vais te faire un spécial pour toi, tu m’en diras des nouvelles.
– D’accord, merci.
Il se retourne quelques instants et s’affaire à verser plusieurs liquides de couleurs dans le verre. Il le dépose devant moi :
– Et voilà. Assorti à ta tenue.
Je baisse le nez sur ma robe rose.
– Et à tes joues. Tu as chaud ? demande-t-il.
– Oui, un peu.
– Reste pas toute seule, reprend Léo. Je vais te présenter à des gens sympas.
Je me laisse guider jusqu’à une table, où un homme au sourire éclatant m’accueille d’un geste exagérément charmant. Je m’assois tandis que Léo pose ses mains sur mes épaules pour accompagner mon mouvement. Je contiens un frisson.
– Si tu as besoin de quoi que ce soit ou si tu as le moindre problème, surtout tu n’hésites pas, me glisse-t-il avant de s’éloigner.
Je me demande, en fait, pourquoi j’aurais des problèmes.