Journal de Louve #52 Lutte contre les grains de sable
Je lutte contre les grains de sable, contre la colère, le rance, l’amertume. Quand j’ai peur qu’il se fâche, je choisis d’ignorer. Quand j’ai peur de blesser, je me griffe au visage pour garder paupières closes. Pour ne rien prononcer, je m’en mordrais la langue. Ca envoie les efflues de la marée qui monte. A vomir ma tristesse, il ne reste que honte. Pourtant j’avais déclaré n’aller plus à la plage. Je m’embourbe désormais dans le sable pâteux. J’en ai plein les chaussures et comme le sable est sale elles sont bonnes à jeter.
Je lutte contre les grains de sable, je ne peux les compter. Tandis que je suis prête à tout bonne à rien, je suis surtout bonne à tout imaginer, tout cacher devenir même cruelle. Pour préserver je sais, je deviens prétentieuse : la mer entière à boire, je le soutiendrai, le monde ne sera pas blessé, je l’ai sur les épaules. Je subis prédateurs et affronts tant que l’on pourra dire c’est une poupée parfaite. Pourvu qu’on pense à moi, qu’on pense à m’aimer et que je sois le monde. Car j’ai besoin d’instants, d’instants où je le crois.
Je lutte contre les grains de sable, au fur, à démesure que ma membrane s’affine, qu’entre le monde et moi il n’y ai plus de distance. Jai peur du prédateur, et j’attaque en premier. Je suis sévère, il sera bouche-bée, il mangera du sable, j’en aurai donné l’ordre. Je sème la tempête, la mer à boire en fait, je la vomis salée.
Je fais le vœu de porter plus lourd, je m’applique à la loi. La loi c’est la bonne foi, mais dans l’humilité. Quand le sable sec, a trop avoir crissé dans ma bouche, devient empâté, devient somme épaissie, je vois bien que plus lourd sur mes épaules, ça ne fait que tomber dans un bruit mat et blanc.
Dans ces vilains moments, je régurgite alors tout ce que Narcisse a caché de plus grande part de lui. Je le portais en parure, pour me pavaner mais la parure s’oxyde et révèle dans mes mots tout ce que je dis et ce que je ne dis pas. On lit plus clair en moi de mes mauvais tourments.
Je suis prête à, si faible, tout jeter au visage, dans les yeux si possible, clamer dans ma faiblesse toute ma supercherie. Quand on s’approche trop près, j’ai l’organe écœuré, la pudeur me flétrit et mes vices me ravagent : j’omets souvent à force d’être vue comme la poupée de cire que les autres ne sont pas plus des poupées que moi. Mon visage trop lisse ne donne pas un indice, et comme j’étends mon illusion à un monde entier troublé par mes préoccupations, je préfère préciser que j’ai trahi tout le monde. J’étais pour l’homme au sable, j’avais joué avec lui et je n’avais rien dit.
Photographie Pavel Danilyuk