Rituels littéraires

Corpus #15 Ce qu’on laisse derrière soi

Cendrillon laisse une chaussure en partant, nous, il nous arrive simplement de claquer la porte et de rester avec nos doutes et nos si j’avais su.

Quand c’était l’heure, c’est moi qui suis partie, à chaque fois. C’est moi qui ai pris ma fidèle voiture, ai traversé les hameaux dans la nuit pour me rendre aux refuges. J’ai souvent laissé bien des choses derrière moi.

Une part de mon identité

Magnus de Sylvie Germain

J’en ai laissé dans ma chambre, des jouets, des poupées. Et maintenant la chambre n’existe plus. Elle a été remplacée, un bureau, ça sent le neuf.

Pour la première fois j’ai rapporté tout ce que je possède dans un espace qui n’est pas ma maison, c’est seulement le bord d’un chemin, un arrêt au port avant de repartir. Ma maison, elle, est encore à trouver.

Est-ce la conscience du mouvement permanent qui fait que l’on reste étranger à soi-même, ou est-ce le nombre de jours voraces qui nous ont ôté trop de morceaux de nous ? On se retrouve avec des creux dans la chair et des incomplétudes. Pas démantelé, mais pas loin. On s’accroche à un ours recousu tant de fois. Lui non plus, on ne se souvient pas de ce qu’il reste d’origine. Cela fera l’affaire.

Les vivants aussi recèlent dans un recoin de leur mémoire des reliquaires d’amours, de rancunes, de joie et de douleurs plus ou moins révolues.

Comme Magnus, j’ai changé de prénom, je me suis confondue avec l’enfant, avec les jouets et j’ai perdu ce qui me rattachait à des morceaux de moi, desquels aujourd’hui, donc, il ne reste plus rien. Je fais des deuils de temps, chaque jour. Je baigne dans la cuve mélancolique de la vie.

Une histoire apprise par cœur

La fille dans l’écran de Manon Desveaux et Lou Lubie

J’ai tout quitté. Un jour, je n’avais qu’un sac bleu, côté passager, la fermeture cassée, avec quelques vêtements attrapés en passant. Et une trousse de toilette.

Tout ça veut dire aussi tout ce que je pensais. Que je devais sacrifice pour un ordre des choses, que l’on pouvait aimer et se sentir enfermé, que l’affection particulièrement à la fois douce et vive nous sauverait du reste, me sauverait de ce qui m’animait sauvage. J’ai quitté l’histoire que je me racontais. J’ai dépassé la maison de mes parents et je suis allée refuge chez mon meilleur ami.

Certains bruits palpitent encore dans des endroits du monde, je sais les entendre et je les reconnais mais je ne m’attarde pas. J’ai d’autres sons qui m’interpellent, ils sont plus mélodieux et je chante avec eux. J’ai laissé derrière moi les pré-enregistrés, scénarios structurés. Je m’engouffre dans les parcelles de mon être à explorer, elles me font me découvrir nouvelle. Et on démarre une autre histoire. Une que j’aurai écrite après avoir fouillé, après m’être heurté aux embarras des murs, après avoir aimé, été blessée, guérie, et avoir gardé à l’esprit, que la manière de réagir à cela peut être seulement mienne.

Comme La fille dans l’écran, je demande à mêler mon univers à celui qui me ressemble sur ce qui m’importe et saura prendre soin. A l’altérité douce et l’amour qui jaillit. Je fais confiance, et m’entoure d’enthousiasme, alliée à celui qui pense que s’aimer ce n’est pas se taire à deux pour pouvoir être ensemble, mais faire une fête à notre image le soir semaine que l’on aura choisi, ou même l’après-midi.

Une personne qu’on aime toujours

Une sirène à Paris de Mathias Malzieu

Rapetisser devant l’immensité du monde, s’exposer au sublime.

Lorsque je suis partie, je me souviens j’ai dit à quelqu’un qui me demandait si c’était douloureux oui, mais j’en profite. En fait, c’était unique. Et c’était magnifique.

S’inventer de nouveaux sublimes. Imaginer et travailler dur pour réduire l’écart entre rêve et réalité.

Je pense toujours à mon histoire, la beauté, je ne l’ai pas laissée derrière moi. Elle est toujours intact, pourtant elle est vivante. J’ai cru que la mettre à l’épreuve de mes récits, de l’écrit, de la laisser traîner sous les yeux de personnes extérieures pourraient l’amoindrir, la ternir, la modifier. Non. Son éclat apparaît toujours dans mon regard, comme un secret qui parle à travers, qui me fait me déplacer avec grâce parce que je le porte comme quelque chose de précieux.

Laisser derrière moi une personne que j’aime toujours me fait croire aux histoires, au présent. Et vivre en accéléré pour tenir en équilibre entre le futur et le passé. Comme une sirène à Paris.

Pixabay

Un monstre familier

L’affaire Jennifer Jones d’Anne Cassidy

Et puis il y a ce que j’ai longtemps appelé les hanteurs. Les reflets de nos versions, que nous avons jetés en pâture à nos estomacs qui les digèrent si mal. Ils restent en dépouille, en lambeaux au creux de notre ventre, rendent parfois indigestes les éclats de beauté dont on veut se nourrir et même se délecter.

Il reste sur la peau des poussières étalées comme des couches de crasse, brouillards résiduels d’une culpabilité et de honte qu’on transpire.

Il peut être bon de laisser derrière soi les créatures obscures que nous pensons encore incarner au passé. Il peut être bon de laisser derrière soi leur prénom et leur âge, de reprendre la route. Se donner la permission de continuer et les laisser courir, sans barreaux de prison, dans la nature.

Lorsque l’on a su apaiser ce qu’on appelait des monstres et que l’on n’appelle plus, ils ne sont pas dangereux.

Ils suffit parfois de prendre le temps d’apprivoiser. Je crois. En ce moment j’apprends.

Comme dans l’Affaire Jennifer Jones, nous avons nos parts viles et les avons payées souvent bien plus qu’assez. Panser les blessures, sublimer les fissures est un grand signe de sagesse. Ces créatures n’existent plus.

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