Journal de Louve #30 La surdité des êtres
Une ampoule jaunit dans la chambre au parquet. J’écris, j’ai étalé des cartes, ça tourne en rond.
Je dis c’est grâce à ceux qui aiment ce que je fais et qui savent me le dire que je reste où je suis. Ce que je veux dire c’est j’aime ce que je fais et considère comme une chance ce que je veux offrir.
Mais c’est une once de monde, pas même une cerise sur un arbre alourdi.
Il est sourd et ignore. Il dit ça marche bonne nuit.
Il y en a d’autres qui aiment faire bien les choses, faire bien leur vie, prendre soin sur la route. Je veux les rencontrer.
Je cherche l’équilibre. Pourquoi racontons-nous nos actes quand ceux-ci parlent d’eux-mêmes ?
Je veux peindre des vases et planter quelques graines qui germeront en fleurs, brosser des pelages d’ours devant ceux qui demandent s’ils peuvent se garer sur le parking d’en face.
Ceux qui ne comprennent pas. Qui déposent des questions avec de grosses godasses au creux de mes entrailles.
A qui j’explique que non, je ne vais pas faire maintenant quelque chose dont je n’ai pas envie, parce que j’aurais peur de peut-être le regretter quand j’aurais cinquante ans. D’ailleurs ce sont leurs dires, moi ça ne me m’effraie pas. Leurs bouches restent closent. Elles sont sourdes, elles aussi.
J’ignore tout du vent qui siffle dans votre poitrine, je suis sourde à vos élans, à vos appels, la plupart d’entre vous.
Parfois ça m’est égal, je veux dire, complètement. Je vous manque, on ne se rencontre pas. Parfois c’est moi qui me sens seule, et ça me donne le temps de me trouver ailleurs.
J’aime sentir l’espace vide dans mon ventre, je veux que cela dure.
Et parfois dans l’enveloppe de mon corps hermétique, je me sens isolée. Je voudrais emmêler les odeurs de nos vies, les mèches de nos cheveux, toucher votre visage de mes doigts attentifs, vous laisser pénétrer dans un espace ouvert, qui appartiendrait à plusieurs êtres en vie, entiers ensemble : mon cœur, peut-être, comme le disent les chansons, moi je pense plutôt au fond de mon estomac.
J’ai la vie qui me brûle et je doute de tout, quand je suis mon propre vase, que je me remplis, que ça déborde ou que les fleurs jaillissent, pourquoi ça ne s’étend pas ?
Vous ne voyez tant rien ?
J’ai les yeux qui s’en fichent, des sourires politesse et le corps solitude. Je fais la même chose, je me tiens à l’écart, je suis sourde à vos affres, à vos aspérités et aux couleurs plaisantes de votre quotidien.
Je voudrais transformer la surdité des êtres, je voudrais nous choyer, nous préparer des nids.
Je n’ai plus qu’à danser et en ne disant plus. J’ai mes jours à saisir, et non à commenter.
J’écris. J’ai étalé les cartes.
Ca tourne en rond. Je pioche et cette fois je jette le reste du paquet. Les cartes explorent la chambre, se déposent en pétales. Précisément c’est là, c’est d’un privilège doux. Précisément
Les pétales ne savent pas que je les regarde. Pourtant, nuit aux halos jaunis de l’ampoule de ma chambre, elles sont magnifiques.