Journal de Louve #29 J’avale et j’engloutis
J’aspire. A grandir à m’élever à souffrir pour connaître. Je trouve difficile de découvrir la vie comme je l’ignorais. Pauvre petit chat. Je l’avais pourtant sous les doigts, cette vie, sous les pieds, sous les yeux, peut-être trop en dessous de moi, de ma famille. Mes parents me l’ont dit.
On n’écoute pas ce qu’on nous dit quand on est une enfant. On écoute plutôt qu’est ce qu’on a fait pour avoir une telle fille, la pression des bonnes notes. On ravale sa peine dans sa chambre pour qu’ils n’insistent pas. Et on colle des images sur les pages de cahiers grands carreaux, on découpe soigneusement les bords imprimés de Girafe en feu, des poèmes page ci-contre. Mon loisir c’est d’écrire, un truc de classe dit le prof dans l’amphi, douze ans plus tard, au moins. Je regarde ma voisine hocher la tête avec approbation, je ne me suis jamais posée la question, j’apprends à faire tourner mon stylo dans mes doigts parce que mon crush le fait.
Je ne sais pas si c’est on, si c’est moi, les filles ou les enfants de profs, les bourgeoises, les sensibles, les idéalistes ou encore autre chose dont je ferais partie. J’appartiens et j’échappe, c’est pourquoi désormais, j’avale ce qui surgit, je filtre et je recrache. Et puis je déglutis. Lapin de trois semaines.
« Céline Marty, bonjour […] vous êtes professeur agrégée de philosophie et aussi doctorante …. »
Les tableaux accrochés dans la salle à manger étaient bien similaires à ceux d’ailleurs, avant. Et puis mes études, les musées, les salons et je disais moi-même que ces piètres napperons affichés sur les murs ne comprenaient pas l’art, ne se demandaient pas. Moi je me demandais, j’étais partie, j’avais fui ma famille pour vivre en boulimie. J’avais investit l’art, ma vie en dépendait. Je vomissais aussi.
« Comment l’on crée de bons personnages secondaires, c’est l’objet de cette émission … »
J’engloutis. Téléréalité, une machine à créer du sexisme, un café, je pense au sac Longchamp de Charlotte, la fille qui m’emmenait au lycée sur son scooter Vespa. A ma mère à l’époque qui me disait qu’il fallait pas m’étonner si je sortais comme ça, elle parlait de la jupe mais je crois, pas seulement.
Un café. Entre Habiter en oiseau et S’épanouir dans son job, j’ai trouvé. C’est la même chose.
J’avale la tasse, entre mes doigts l’eau se faufile, je glisse parfois je crois que je me noie mais non. Je n’existe pas en sacrifice, la vie telle que vous la vivez en nombre, je rêverai d’en être votre alliée. Je rêve aussi plus loin que parfois vous n’osez, et je m’envelopperai dans mon manteau hybride brodé de nacre et de coton, dont j’ai hérité. Je cours, et je pourrai me battre. Je ne mets pas d’armure, je refuse de me taire. Je n’ai que ma voix pour parler, que ma foi pour dire, en attendant j’écoute, j’ai sur la bouche tout ce qui ruisselle et que jamais encore je n’avais pu goûter. Le jour viendra, où l’on sera unis, je pourrai vous offrir en souffle :
Où vont les tempêtes ? et Songe à la douceur. Et j’offrirai surtout ce que vous demanderez.
Les reflets du soleil sur la vitre et le disque qui tourne, je me prends à la fois pour le grand cormoran, une sorcière comme les autres, et puis le coquillage que ma soeur et moi vendions sur la plage.
Le courage des cœurs fragiles, j’absorbe.
Ta colère qui languit, j’absorbe.
Je me fais un déca pour changer et je fais moins de bruit quand je passe entre les murs des étagères étroites. Je me prépare mon amour, patience et je confie dans tes mains les plus pures, quoi que tu en estimes, ma confiance la plus sûre. La porcelaine capitaliste, tu verras, nous la briserons, dans un bruit effroyable, nous fêterons ensemble dans les morceaux poussière notre meilleur anniversaire.