Journal de Louve #23 L’alchimiste dans la rue
Il était une fois cette journée où je me réveille et je me vois éclore. Je vois la lumière transformer le gris de ma peau en mille éclats.
Je vois des bribes de monde qui, jusqu’à présent, restaient cachées sous des feuillages. J’essaie d’imaginer tout ce qu’il y a, tout ce à quoi je n’ai pas encore assisté.
Je marche à l’allure du groupe, essuyant par les semelles les bandes blanches usées-craquelées de la route.
La route, on décide aujourd’hui qu’elle nous appartient. Le soleil a choisi d’éclairer la balade.
J’aurais pu être au café. Mais je me suis laissée happée, attisée, et je me suis poussée vers l’extérieur. En plein milieu, là où l’on nous voit.
Il y a des grilles de part et d’autres qui nous encadrent. Un véhicule devant. De la verdure qui respire aussi.
Je promène mes yeux au rythme des baskets.
Une femme froisse le bras d’un arbuste à aiguilles sur le côté, porte la main à son visage. Je bifurque sur le trottoir pour l’imiter. L’odeur est fraiche, épicée. J’écoute.
Ca ne nous rajeunit pas. […] C’est de la merde. […] La violence des flics elle est pas symbolique.
Les carreaux des manteaux, les pois, les motifs sur les foulards. Les mots scandés bousculent mes représentations. Alors c’est quoi être soi ensemble ?
Je vois dans la foule tant de personnes sur lesquelles je m’attarde sans pouvoir les trouver. Beaucoup évitent de me rencontrer pour incarner seules leur moment dans la révolte c’est certain mais l’impuissance aussi, les paillettes oranges, les gros mots joyeux.
Je lis des couleurs et des mots aux marqueurs. Le feu dans les chansons. Ca forme un ensemble dépareillé, des voix cacophoniques, un attroupement foutraque de personnes qui semblent avoir à partager quelque chose de très vaste qui reste encore en dehors de ce que je saisis.
Je devine en chacun un trésor immense auquel je n’ai pas accès.
Ceux qui votent les lois vivent au dessus d’elles. Ce n’est pas encore avril mais le groupe au ras du sol semble prendre son envol quand les refrains arrivent.
G. attrape ma main, comme pour me raccrocher à terre, je sens qu’un jour je pourrai peut-être m’envoler avec eux. Je glisse-entrelace mes doigts entre les bagues en acier sur les siens.
Les rendez-vous manqués par hasard, les rencontres faites par envie, les trouvailles inattendues que je n’étais pas venue chercher sont des scintillements-miracles de la rue.
Au fur et à mesure de pas et de puissances exprimées, je les observe, je leur fais une place. Ils deviennent peu à peu pour moi partie de vie.
Je sors les mains de mes poches.
Je suis prête à saisir pleinement maintenant le soleil qui tape sur ma veste, la transpiration, l’odeur des clopes roulées et de la pelouse tondue.
Je -nous- marche à contre-sens, je -nous- marche sur un rond-point.
Je commence, je rencontre l’irrévérence avec style.
Trouver ma propre manière d’être furieuse, impuissante, concernée et frivole. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai, mes mains trouveront.
Je retournerai me donner d’autres fois l’occasion d’éclore sur le pavé de la rue et dans d’autres endroits qui me sont inconnus.
Là, je prends mon élan.